La couronne dans les ténèbres
furent soudainement attaqués par cinq ou six hommes à cheval, masqués et bien armés, qui surgirent d’un bosquet et fondirent sur eux. Corbett se saisit de l’arbalète, déjà chargée, qui pendait au pommeau de sa selle, la leva, visa et envoya le carreau se ficher dans la poitrine du cavalier de tête. Mais les autres étaient déjà sur eux, cognant avec épées, masses et gourdins. Ranulf et ses compagnons dégainèrent leurs armes et, agonissant d’injures leurs adversaires, frappèrent d’estoc et de taille. Quant à Corbett, il fit tournoyer son long poignard gallois, puis, piquant des deux et engageant les autres à le suivre, il brisa le cercle des assaillants et galopa loin des arbres où avait eu lieu l’embuscade. C’était une tactique que Corbett avait vu utiliser au pays de Galles et qui consistait, pour la cavalerie, à ne jamais cesser d’affronter l’ennemi tout en rompant le combat pour échapper à l’encerclement. Corbett vit deux des assaillants s’écrouler en hurlant, la main crispée sur des blessures d’où giclait le sang. Il espéra que cela refroidirait l’ardeur des autres, déjà surpris par la résistance acharnée qu’ils rencontraient, et qu’ils renonceraient ainsi à les poursuivre. Au bout d’un moment, Corbett ordonna une halte : son cheval était quasiment à bout de souffle et il n’y avait plus aucune trace de leurs poursuivants. Il était sain et sauf, mais la peur lui donnait presque la nausée. Ranulf, lui, n’avait que des ecchymoses et des estafilades aux mains, aux bras et aux jambes, mais l’un des courriers, un jeune homme, avait reçu une horrible blessure au ventre et — comprit immédiatement Corbett — ne survivrait pas longtemps. Son sang jaillissait de la plaie tandis qu’il gémissait et réclamait de l’eau. Corbett lui en donna, sachant que cela pouvait hâter sa fin. Ils le descendirent de cheval et l’étendirent doucement sur le sol. Ranulf monta la garde pendant qu’ils attendaient en silence que le jeune homme mourût. Ce qu’il fit, sur un dernier gargouillis et en crachant une écume sanguinolente. Corbett récita le Miserere et le Requiem et s’aperçut qu’il ne connaissait même pas le prénom de ce soldat qui avait été le frère, le fils aimé, l’amant de quelqu’un et qui, à présent, était mort. Corbett regarda le corps et regretta la futilité de cette mort. Il ordonna qu’on enveloppât la dépouille dans une cape et qu’on l’attachât sur un cheval. Puis ils continuèrent leur route vers l’abbaye de Holy Rood, Corbett redoutant chaque ombre et rendu malade jusqu’à la nausée par l’épuisement et la tension. Ils arrivèrent tard dans la nuit. Le clerc éluda les questions du prieur à moitié endormi et le pria de s’occuper de la dépouille, promettant de régler toutes les dépenses. Ensuite, Ranulf et lui, fourbus, se traînèrent jusqu’à leur chambre.
Le lendemain matin, ils assistèrent à la messe de Requiem à la mémoire de leur compagnon ; les moines avaient procédé à la toilette mortuaire du corps qui reposait, à présent, dans un cercueil de pin neuf au pied de l’autel de l’église abbatiale. Le prieur, majestueux en vêtements liturgiques or et noir, étendit les bras et entonna l’Introït : « Requiem aeternam dona ei Domine. Donne-lui le repos éternel, O Seigneur, et que la Lumière l’illumine à jamais ! » Corbett se frotta les yeux d’un geste las et se demanda quand cette interminable affaire le laisserait, lui, en repos. Et aussi qui étaient les assaillants de la veille et surtout qui les avait payés ? Le choeur entonna, ensuite, le beau poème de Thomas di Celano, Dies Irae, Dies Illa :
O jour de colère, O jour terrible
Vois s’accomplir les mots du Prophète,
Et le Ciel et la Terre être réduits en cendres.
Corbett saisit des passages au vol : « Vois le Souverain Juge descendre des Cieux ! »... Il regarda le cercueil et jura que le jeune homme qui allait être mis en terre n’aurait pas à attendre le Jugement dernier pour que justice lui fût rendue.
Après les funérailles, Corbett décida d’envoyer au château Ranulf, tout aussi effrayé que lui ; il l’assura que tout irait bien et lui ordonna de solliciter une audience auprès de l’évêque Wishart et de prier le bon ecclésiastique d’accorder une entrevue à Corbett en présence du confesseur du défunt roi. Il ajouta qu’il aimerait être protégé sur le chemin du
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