La couronne dans les ténèbres
à souquer.
Ils débarquèrent à Inverkeithing et grimpèrent sur la falaise, le soleil d’été leur réchauffant le dos. Ils passèrent par Aberdour et atteignirent Kinghorn Ness. Corbett leur montra l’endroit d’où l’on pensait que le souverain était tombé, puis ils suivirent le sentier jusqu’au manoir royal, qu’ils trouvèrent en pleine ébullition. La cour était envahie de chariots où s’empilaient malles, coffres et paquets de vêtements, les serviteurs couraient en tous sens, obéissant aux ordres stridents des officiers. Corbett et ses compagnons durent s’occuper eux-mêmes de leurs chevaux qu’ils installèrent dans les écuries qui se vidaient. Puis Corbett demanda aux autres de l’attendre et se mit à la recherche d’Alexandre, le sénéchal. Il le retrouva, déjà à moitié ivre, dans un coin de la grand-salle. L’ivrogne regarda Corbett de ses yeux larmoyants, sa bouche molle entrouverte.
— Tiens donc, c’est Corbett, le clerc anglais, murmura-t-il. Vous avez d’autres questions ?
Corbett eut un sourire diplomate et s’assit en face de lui.
— Oui, j’en ai. Pourquoi tout ce branle-bas ? Que se passe-t-il ?
— Ce qui se passe ? La reine s’en va, voilà ce qui se passe. Les navires français sont au large. Ils accosteront à Leith dans quelques jours et elle s’en ira.
Il rota bruyamment.
— Bon débarras, que je dis. Enceinte ! Elle n’était pas plus enceinte que moi !
— Alors pourquoi l’a-t-elle prétendu ? s’enquit Corbett.
Le sénéchal s’essuya la bouche du revers malpropre de sa manche.
— Je ne sais pas. Une maladie de femme. J’ai entendu dire que ça s’était déjà produit, ou alors... — il se pencha et, en signe de connivence, tapota son nez rouge marqué de petite vérole — ou alors, c’est peut-être les Français.
— Que voulez-vous dire ? demanda Corbett d’un ton abrupt.
— C’est peut-être les Français qui lui ont dit de faire semblant d’être enceinte et ainsi de prolonger son séjour en Ecosse.
— Pourquoi auraient-ils agi ainsi ?
Alexandre fixa un point au-dessus de la tête de Corbett.
— Je ne sais pas. C’est simplement une idée qui m’est venue. C’est tout.
Corbett réfléchit.
— Dites-moi, est-ce que l’envoyé français est arrivé ici le matin du jour où le roi est mort ?
Alexandre fit signe que non.
— Vous êtes sûr ? insista Corbett. Tôt dans la matinée.
— Non, répondit fermement Alexandre. Le seul visiteur qu’on ait eu vers cette heure-là, c’est un messager qui nous a fait savoir que le roi se rendrait à Kinghorn dans la soirée !
— Vous en êtes certain ?
— Oui. Le seul autre visiteur a été Benstede et lui était venu la veille.
— Que voulait-il ? interrogea Corbett brusquement.
— Comment le saurais-je ? rétorqua l’intendant avec irritation. Il était accompagné de son drôle de serviteur ; il est resté quelque temps avec la reine, puis il est reparti.
— Le roi venait-il fréquemment à Kinghorn ?
— Au début, oui. Et il demandait souvent à la reine de le rejoindre de l’autre côté du Firth of Forth, mais les semaines précédant sa mort, ses visites s’espacèrent. Il était terriblement fougueux et passionné ! conclut l’intendant d’une voix avinée.
— Me serait-il possible de voir la reine, à présent ? demanda Corbett.
Alexandre refusa d’un signe de tête.
— Non, elle ne verra personne aujourd’hui. Peut-être demain, dit-il en regardant Corbett d’un air interrogateur. Mais avec un peu d’encouragement, je pourrais arranger cela ?
Corbett lui glissa une pièce d’argent.
— Je vous en serais reconnaissant.
Sur ce, il lui adressa un bref salut, se leva et alla retrouver Ranulf. Ils purent, moyennant finances, loger dans une petite chambre du manoir et acheter leur nourriture aux cuisines et à l’office. Corbett s’inquiétait de voir que l’argent remis par Burnell avait presque été complètement dépensé. Il lui restait quelques pièces cousues dans sa large ceinture de cuir à poches ainsi que son propre argent, qu’il ne voulait pas utiliser, car, à son retour à Londres, il lui aurait fallu, pour se faire rembourser, des mois de discussions avec quelque clerc tatillon de l’Échiquier. Corbett espérait seulement que la reine voudrait bien le recevoir rapidement. Ce ne fut pas le cas. Le lendemain et le surlendemain, ses demandes d’audience se heurtèrent
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