La couronne dans les ténèbres
à ses serviteurs et à l’équipage de se préparer au départ.
Sans plus attendre, Selkirk, Corbett et leur escorte revinrent à leur navire. La galère s’écarta, ses rames s’enfoncèrent dans l’eau et elle descendit le courant en suivant la marée qui l’entraînait vers le large. Le retour vers Leith sur le Saint Andrew fut aussi désagréable que l’aller, et Corbett ne fut que trop heureux lorsqu’il descendit sur le quai de sentir la terre ferme sous ses pieds. Selkirk, cependant, était impatient de rentrer. Ils reprirent donc leurs montures aux écuries et, les sabots de leurs chevaux martelant les pavés, ils repassèrent par les rues d’Édimbourg et arrivèrent bientôt à l’abbaye de Holy Rood. Selkirk promit de laisser en faction l’escorte habituelle. Corbett voulut exprimer sa gratitude au taciturne chevalier pour son intervention et son aide à bord de la galère française.
— Ne me remerciez pas ! s’exclama Sir James.
Plus vite cette affaire sera résolue, plus vite vous serez parti, ce qui me fera extrêmement plaisir !
Corbett hocha simplement la tête et s’éloignait du portail lorsque Selkirk s’écria :
— Remarquez, Corbett, pour un clerc anglais, vous n’êtes pas dénué de qualités ! Et cela, venant d’un Écossais, est un grand compliment !
Corbett eut un sourire entendu et pénétra dans l’abbaye, content d’avoir obtenu des renseignements utiles et de savoir le voyage fini.
Le prieur le rejoignit dans sa petite chambre, le bruit de ses sandales résonnant comme un tambour dans le couloir en pierre, son habit gris flottant autour de lui.
— Votre voyage a-t-il été fructueux ? dit-il. De Craon vous a-t-il aidé ?
Corbett répondit en souriant :
— De Craon est un homme impétueux et un peu sot. Je l’ai roulé, mais il le fallait. Je me souviens d’avoir vu un jour une mosaïque, une mosaïque romaine. En avez-vous jamais vu une ?
Le prieur fit un signe de dénégation.
— Elle était très belle, continua Corbett. Un visage de femme, sombre et mystérieux, avec une longue chevelure noire flottant sur les épaules. L’artiste avait créé cette apparition en utilisant de petites pierres colorées. Certaines s’étaient détachées et j’ai passé une journée entière à les remettre en place et j’ai vu, ainsi, ce visage, vieux de centaines d’années, revenir à la vie.
Il poussa un soupir.
— Mais la peinture et la sculpture ne vous intéressent guère, n’est-ce pas ? Vous vous passionnez plus pour les herbes, les drogues et les poisons.
Il vit rougir le visage blafard du prieur.
— Je suis désolé, mon père ! dit-il en grimaçant un sourire. Je voulais vous intriguer. Je suis comme le créateur de cette mosaïque ; les petits morceaux retrouvent peu à peu leur place et j’ai besoin de votre aide. Dites-moi, existe-t-il une plante qui vous ferait avoir des visions et qui, en même temps, aiguiserait votre mémoire ?
Il résuma alors son aventure dans la forêt d’Ettrick et sa visite au village picte. Le visage grave, le prieur l’écouta jusqu’au bout sans mot dire. Puis il expliqua :
— Il y a certaines plantes qui, une fois coupées, distillées, traitées, peuvent s’emparer de l’esprit d’un homme et faire surgir en lui des visions : la belladone, la digitale pourprée et surtout la fleur d’Hécate, Reine des Ténèbres, l’ellébore noir. Des amandes ou même les feuilles de laurier mâchées. Tout cela peut exciter l’esprit et faire remonter à la surface des souvenirs enfouis dans notre mémoire.
Il jeta un regard perçant à Corbett, dévisageant le clerc de ses yeux fatigués et intelligents.
— Vous avez mentionné les poisons, Hugh, ajouta-t-il d’une voix posée, or toutes ces plantes-là peuvent tuer un homme et éteindre sa vie comme la brise éteint la flamme d’une bougie.
Se penchant en avant, Corbett décrivit ce qu’il avait vu. Le prieur l’interrogea minutieusement et le clerc donna des réponses aussi précises que possible. Le prieur s’interrompit et réfléchit un moment, puis lui fit part de ses conclusions. Corbett eut un sourire tranquille : le dernier morceau était à sa place, la mosaïque était complète. S’imposa alors à son esprit le visage de l’assassin d’Erceldoun, de Seton, du jeune soldat de l’escorte, du passeur, le visage surtout du régicide, du meurtrier de l’Oint du Seigneur, du roi Alexandre III d’Ecosse. Corbett
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