La couronne dans les ténèbres
demanda au prieur de lui accorder une dernière faveur, d’accomplir une dernière tâche. Le moine accéda à sa demande avant de quitter la pièce, silencieux et discret.
CHAPITRE XVII
Corbett se rendit au premier office le lendemain. Agenouillé, il regarda le prêtre offrir le corps immaculé du Christ, l’hostie et le calice levés bien haut, et demander à l’Agneau de Dieu d’effacer les péchés du monde. Corbett communia en espérant que le sacrement lui donnerait la force de combattre le mal qu’il aurait à affronter le jour même. Après la messe, il envoya le dernier courrier vers le sud avec un message oral à ne confier qu’au seul chancelier d’Angleterre, Robert Burnell, évêque de Bath et de Wells. Le chancelier serait au prieuré de Tynemouth, insista Corbett. S’il n’y était pas encore arrivé, le messager devait l’attendre. Puis Corbett donna certaines instructions au prieur et à l’escorte de Selkirk, toujours en faction au portail de l’abbaye, avant de retourner dans sa petite cellule. Peu avant midi, il entendit des voix dans le couloir et le bruit de bottes en cuir sur les dalles. On frappa à la porte et Benstede entra, un sourire affable aux lèvres. Il tapa amicalement sur l’épaule du clerc et embrassa du regard l’austère cellule.
— Eh bien ! dit-il après s’être installé confortablement. Vous avez demandé à me voir ?
Corbett fit signe que oui.
— J’ai découvert l’assassin du roi Alexandre III et la façon dont il s’y est pris, mais pas ses motifs.
Pour la première fois depuis qu’il le connaissait, Corbett vit une peur réelle se peindre sur la physionomie de Benstede et celui-ci accuser le coup : il resta bouche bée, le sang se retira de ses joues et son regard perdit son éclat ironique.
— Qui est-ce ? murmura-t-il d’une voix rauque.
— Mais, Messire Benstede, vous le savez parfaitement ! C’est vous, vous, l’assassin d’Alexandre III.
Benstede resta un long moment immobile, assis, l’oeil fixé sur Corbett.
— Il vous est impossible de... commença-t-il avant de s’interrompre, la gorge serrée. Vous n’avez aucune preuve. Vous m’accusez de ce meurtre alors qu’il devrait être mis sur le compte de De Craon et de sa bande de coupe-j arrêts !
Corbett vit la main de Benstede s’approcher du poignard qu’il portait à la ceinture.
— Messire Benstede ! s’écria-t-il. Je vous conseille de garder votre main éloignée de votre arme, de ne tenter aucun acte de violence, de ne pas crier ni d’essayer d’appeler à votre aide votre âme damnée qui est, probablement, aussi coupable que vous d’au moins quatre assassinats en Ecosse. Oui, poursuivit Corbett. Vous avez raison sur plusieurs points. Les preuves que j’ai sont très minces et même si je vous prenais sur le fait, je doute qu’une cour écossaise oserait vous faire comparaître devant un tribunal. Je vous raconte cela tout simplement parce que je crois devoir le faire. La justice l’exige ! Il est de votre intérêt, aussi, d’écouter calmement ce que je vais vous raconter.
Corbett se leva et se mit à faire les cent pas tout en discourant :
— En 1278, commença-t-il, Alexandre III assista au couronnement de notre souverain, Édouard d’Angleterre. Il lui fut demandé de prêter serment d’hommage pour ses territoires en Angleterre, ce qu’il fit volontiers, mais il refusa tout net de faire de même pour le royaume d’Écosse, proclamant qu’il le tenait directement de Dieu. Notre souverain a développé, depuis quatorze ans, une certaine conception du pouvoir, une conception qu’on n’a jamais connue dans ce pays depuis l’Empire romain. Il est seigneur de vastes territoires en France. Il a conquis le pays de Galles, écrasé toute opposition en Angleterre, a des visées sur l’Irlande et, comme il l’a démontré lors de son couronnement, a des projets similaires pour l’Ecosse. Je ne dis pas, s’empressa d’ajouter Corbett, que notre souverain fut impliqué dans la mort du roi Alexandre, mais vous, Messire Benstede, êtes son fidèle serviteur. Vous connaissez sa façon de penser, ses désirs et ses souhaits les plus secrets. Vous ressemblez fort à ces chevaliers qui assassinèrent Thomas Becket à Cantorbéry. Ils agirent de leur propre initiative. Henri Plantagenêt ne leur en avait pas donné l’ordre, mais dans son âme il souhaitait secrètement la mort de Becket.
Corbett s’arrêta, but une gorgée de vin
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