La couronne de feu
dans les prairies de l’Auron et à pratiquer les armes. Qu’allait s’imaginer le Gros Georges ? qu’elle allait finir son existence dans les délices de Capoue ?
L’expression fit sourdre un sourire des grosses lèvres du satrape. La petite bergère illettrée de Domrémy tenait sans doute cette expression de Charles d’Albret ou de M. de Bouligny qui se piquait de belles lettres.
Jeanne se demanda où le chambellan voulait ne venir ; il ne tarda pas à le lui révéler :
– Jeanne, ma chère fille, nous avons deux épines au talon : elles se nomment La Charité-sur-Loire et Saint-Pierre-le-Moutier. Ces deux villes proches de Bourges sont aux mains d’un chef de bande dévoué à nos adversaires. Sa Majesté et moi souhaitons nous en débarrasser et t’en confier le soin. Étant donné la saison, cette opération ne sera pas une sinécure. Si tu échouais nous ne t’en tiendrions pas rigueur. Prends le temps de la réflexion. M. d’Albret, mon demi-frère, te fournira les indications nécessaires et te secondera dans cette entreprise.
En retournant chez La Touroulde, Jeanne se sentait en proie à une grande confusion. Lorsqu’elle s’ouvrit de cette proposition insolite à Jean d’Aulon, il se dit qu’une fois de plus on cherchait à la manipuler ou à se débarrasser d’elle.
– Bien joué ! s’écria-t-il. La Trémoille est décidément un fripon de la pire espèce. Ce qu’il n’a pas osé vous dire c’est qu’il souhaite faire de vous l’instrument d’une vengeance. Ces deux cités sont tenues par les bandes du célèbre routier Perrinet Gressart. Jadis La Trémoille, mis à rançon par ce brigand au cours d’un simple voyage, a dû débourser quarante mille écus pour être libéré. Il s’est remboursé sur le trésor public mais, comme il est d’un naturel vindicatif, il s’est promis de tirer vengeance de cet affront. Il faut dire aussi que Gressart met en coupe réglée les contrées qu’il contrôle et les domaines royaux des alentours. Autant de profit en moins pour le trésor royal... et le sien propre. Alors, Jeanne, il faut bien réfléchir avant de vous laisser embarquer dans cette affaire truquée.
– C’est bien mon intention, dit Jeanne.
Elle se disait déjà que, toutes préventions écartées, elle accepterait cette mission. Elle ne pouvait sans déchoir s’y dérober et n’en avait pas envie.
– Si j’accepte de partir, dit-elle, ce ne sera pas pour venger le Gros Georges mais pour délivrer le pays d’un brigand qui fait injure à Dieu en terrorisant et en ruinant les pauvres et les gens d’Église...
Elle ajouta avec un rire :
– ... et aussi pour me donner un peu de mouvement !
Elle se tenait immobile dans l’entrée, son baluchon à ses pieds, sa mule au poil luisant de pluie derrière elle. Sous le bonnet qui lui enveloppait le haut du visage jusqu’aux oreilles pendaient des filaments humides de cheveux roux.
La Touroulde, alertée par les domestiques, lui demanda ce qu’elle voulait.
– Je viens, dit la femme, de la part du frère Richard, pour rencontrer celle qu’on appelle Jeanne la Pucelle. Mon nom est Catherine.
Jeanne se tenait dans ses appartements, occupée à mettre sur pied, en compagnie de Charles d’Albret, un plan de campagne contre Gressart. Elle s’avança vers la pauvresse, lui demanda des nouvelles du frère Richard, la fit entrer et l’invita à venir se chauffer. Catherine grelottait en essuyant avec la serviette que lui avait tendue une servante son visage long et mince de madone romane, aux yeux gris et tristes.
Elle expliqua à Jeanne, devant un bol de vin chaud, qu’elle était originaire de La Rochelle où elle avait laissé son mari et ses enfants. Poussée par des révélations célestes, elle avait pris la route pour suivre une bande qui bataillait contre les Anglais au nord de la Loire. C’est là qu’elle avait rencontré le frère cordelier en train de prêcher le populaire. Elle lui avait raconté les révélations dont elle était l’objet : la Vierge Marie lui apparaissait chaque nuit ou presque, drapée dans une tunique de tissu d’or, un tourbillon d’étoiles autour de la tête ; elle lui parlait, lui révélait des choses surprenantes...
– Vraiment ? fit Jeanne avec un sourire ironique. La Vierge elle-même... Et quelles choses surprenantes vous dit-elle ?
À ce jour les révélations célestes n’avaient porté que sur la recherche de trésors : une spécialité comme une autre.
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