La couronne de feu
s’éclaircit la voix, écarta du pied le petit chien qui jouait avec les pompons de sa houppelande, avant de commencer à lire le document dont Jeanne ne retint que quelques phrases :
– ... pour rendre gloire à la haute et divine sagesse des grâces nombreuses et éclatantes dont il lui a plu nous combler par le ministère de notre chère et bien-aimée Pucelle Jeanne d’Arc et de Domrémy... Que par le secours de divine clémence nous avons l’espérance de voir s’accroître encore pour publier les louanges de la Divinité, afin qu’ainsi illustrée par la Divine Splendeur, elle laisse à la postérité le monument d’une récompense émanée de notre libéralité royale, qui accroisse et perpétue dans tous les siècles la gloire divine et la célébrité de tant de grâces...
Le roi éloigna d’un coup de pied le carlin qui revenait à la charge et roula le parchemin d’où s’échappaient, avec des liens de soie rouge et vert, le grand sceau royal de cire sur double queue.
Éberluée par ce pathos amphigourique auquel elle n’avait rien compris, Jeanne bredouilla :
– Sire... que signifie...
La Trémoille s’avança vers elle avec un sourire indulgent et lui dit d’un ton paterne :
– Ma fille, je conçois que la signification de ce document vous demeure obscure. Il signifie que désormais, en vertu des services que vous avez rendus à notre souverain et au pays, Sa Majesté vient de décider de vous anoblir, ainsi que votre famille. Vous pourrez désormais porter le nom de d’Arc.
Elle répéta comme en écho :
– M’anoblir... d’Arc... En nom Dieu, je ne suis pas certaine de mériter un tel honneur, et...
La Trémoille l’interrompit d’une voix plus ferme :
– Désormais, je le répète, Jeanne d’Arc sera votre nom. C’est, si nous ne faisons pas erreur, celui du village natal de votre père. Cet anoblissement ne vous concerne pas seule. Le grand registre stipule qu’il embrasse toute votre famille, ainsi que votre postérité.
– Ma postérité... soupira Jeanne.
La Trémoille lui montra un autre document où figurait l’image d’un blason colorié.
– Ce sont vos armoiries, dit-il. Elles sont d’azur à une épée d’argent à pal, croisée et pommetée d’or, férue en une couronne d’or et côtoyée de deux fleurs de lys du même. Ce langage est obscur. Je pourrai vous l’expliquer.
Elle eut un mouvement de recul lorsqu’il posa ses mains sur ses épaules pour l’embrasser. Toutes ces simagrées lui demeuraient non seulement obscures mais étrangères et importunes. Qu’est-ce que cet anoblissement pourrait bien changer de sa vie et de sa mission ? Peu de chose sans doute sinon, dans son entourage, des marques de respect plus ostensibles, ce dont elle se moquait par avance. Son premier mouvement avait été d’incompréhension, le second de stupeur. Vint ensuite un sentiment ambigu qui suscitait en elle des doutes sur le caractère divin de sa mission, ses apparitions, ses voix. Une reconnaissance officielle de ses soi-disant mérites risquait de leur ôter tout caractère sacré. Elle éprouvait un réflexe d’humilité en se souvenant que, moins d’un an auparavant elle n’était rien d’autre qu’une garce élevée sur le fumier, comme l’avait écrit le clerc Jacques Gélu. Les seuls à tirer quelque orgueil de cet honneur seraient les membres de sa famille, ses frères surtout, Pierre et Jean, qui allaient arborer ces armoiries sur leur pourpoint et se prévaloir de leur titre de noblesse. Ce qu’elle-même se garderait de faire.
Jeanne demanda l’autorisation de se rendre à Orléans ; on la lui accorda, à condition qu’elle acceptât de se faire escorter d’un détachement de cavaliers : un capitaine d’origine italienne, Barthélemy Baretta, hantait avec une bande de Piémontais les bords de la Loire.
Annoncée à son de trompes l’arrivée de la Pucelle à Orléans prit l’allure d’une festivité populaire qui lui rappela celle qui, huit mois auparavant, avait salué son entrée dans la ville assiégée. Jean d’Aulon et Louis de Coutes avaient pris à ses côtés la place du beau Dunois et ce n’est pas une armée qui se présentait aux portes de la ville, mais une simple escorte.
Lorsqu’elle put échapper à la foule qui chantait ses Noëls, sa première visite fut pour la famille de Jacques Boucher ; elle l’attendait sur le seuil avec des bouquets et des rameaux de houx. Surprise de Jeanne lorsque la petite
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