La couronne de feu
personnage avait double nature : fidèle à Charles ou à Philippe selon les circonstances et ses intérêts.
– Les Bourguignons, dit Jean Foucault, sont fous de rage : vous venez de les priver d’un chef prestigieux. De plus ce prisonnier aurait dû être envoyé au roi Charles, lequel...
Au diable ces arguties ! Jeanne n’avait d’autre juge que sa conscience, et elle ne lui reprochait rien.
– Philippe de Bourgogne, ajouta le capitaine, ne vous pardonnera pas ce qu’il doit considérer comme un crime et, ce qui est pis à ses yeux, une provocation. Vous venez de lui fournir un argument supplémentaire de souhaiter votre perte.
L’armée conduite par Jean de Luxembourg progressait lentement mais sûrement en direction de Compiègne et de Corbeil, deux villes commandant l’accès à Paris et dont l’occupation était devenue nécessaire pour protéger cette ville. Au début de mai il s’était emparé de Noyon et de Gournay. Le 16 mai, sans coup férir, il prenait position à Choisy-le-Bac. Deux jours plus tard, devant Soissons, il recevait la visite du gouverneur, Guillaume Bournel, qui lui proposait de ne lever le pont que moyennant finances ; une offre trop avantageuse pour que le comte Jean s’y dérobât.
Pour pousser plus hardiment son avance vers Compiègne il jugea bon d’attendre de Bedford les renforts qui tardaient à paraître, et pour cause : quand on leur annonçait qu’ils allaient se trouver en face de la Pucelle, les armes tombaient des mains des soldats et ils préféraient déserter : les enchantements de la Pucelle, comme disait le Régent, brouillaient le jeu.
Jean de Luxembourg, en revanche, apprit avec satisfaction qu’à Reims l’opinion commençait à tourner en faveur de Philippe : las d’attendre des secours du roi Charles, les bourgeois suscitaient des complots contre la garnison française. Le fruit mûrissait ; il suffisait d’attendre un peu pour le cueillir...
Alors qu’ils marchaient à petites journées vers Compiègne, les Anglo-Bourguignons reçurent les renforts tant attendus : quinze cents hommes qui, ajoutés aux quatre mille qui composaient l’armée, constituaient une force d’invasion devant laquelle, en cas de bataille en rase campagne, la troupe de brigands et les quelques cavaliers de l’armée régulière conduits par la Pucelle, eussent fondu comme neige au soleil.
En prévision du siège de Compiègne, qui ne serait pas de tout repos, on avait prévu quantité de pièces à feu de différents calibres, et notamment trois bombardes colossales : Remeswalle, Rouge-Lombarde et Bourgogne, ainsi qu’un engin volant d’un modèle récent capable d’arroser l’intérieur de la ville de feu grégeois. Philippe avait fait venir à grands frais de Prusse et de Géorgie des arcs et des arbalètes : les meilleurs au monde, disait-on. Une telle puissance de feu et de trait n’était pas excessive : Compiègne était l’une des villes les mieux défendues de tout le royaume de France et la garnison de Guillaume de Flavy comptait la bagatelle de cinq cents hommes !
Curieux personnage que ce Guillaume de Flavy, pupille et neveu de Regnault de Chartres... Un mauvais homme, disait-on, cruel avec le peuple, sujet à des coups de tête, mais tout dévoué au roi Charles. Philippe avait tenté de se concilier sa complicité ; il s’était heurté à un mur.
Au moment de quitter Lagny pour Senlis, Jeanne reçut un message de Charles demandant des nouvelles de la campagne. Elle dicta une lettre à Pasquerel et demanda à l’émissaire royal comment se portait Sa Majesté.
– Notre souverain est en piteux état, répondit le chevaucheur. Au cours d’une partie de chasse sous la pluie il a contracté un mal de poitrine qui l’a tenu une semaine à la chambre entre la vie et la mort. Lorsque j’ai quitté Sully il allait beaucoup mieux et a pu reprendre ses distractions favorites : les jeux de boules et de quilles, ainsi que d’autres menus plaisirs dont la décence m’interdit de parler...
Dans la lettre confiée à l’émissaire Jeanne priait son souverain seigneur de rassembler quelques centaines d’hommes qu’il pourrait sans trop de risques prélever dans les places fortes des bords de Loire. Un voeu pieux : elle n’attendait pas de réponse favorable et même pas de réponse du tout. Le roi avait d’autres soucis...
Un qui bougeait beaucoup, en revanche, c’était Regnault. Il courait d’une ville à l’autre, escorté de
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