La couronne de feu
l’intention du pigeon qui, plusieurs fois par jour, venait lui tenir compagnie : un gros mâle au cou gonflé de désir, qui roucoulait pour attirer l’attention d’une femelle absente. Familiarisé avec la prisonnière, il venait picorer dans sa main.
Un groupe de femmes emmitouflées dans des pelisses sortirent de la chambre du roi et se dirigèrent vers le donjon. John Berwoit leur ouvrit la porte avec des sourires et des gestes cérémonieux. La duchesse de Bedford, une grosse femme au visage poupin sous le bandeau qui l’entourait, lui lança :
– Laissez-nous et veillez à ce que cette porte soit fermée.
Elle ajouta à l’intention de Jeanne :
– Ma fille, l’épreuve à laquelle nous allons te soumettre n’a rien d’agréable mais d’elle dépend peut-être ton salut.
La petite lady Anna pouffa derrière ses mains en voyant la captive se défaire de sa défroque de soldat. Quand la matrone eut rempli son office, les trois femmes se retirèrent pour délibérer.
– Jeanne, dit la duchesse en revenant dans la cellule, tu ne nous as pas menti : tu es bien vierge et donc, en principe, exempte de pollution diabolique. L’évêque Cauchon en sera désolé, lui qui espérait de ta part une supercherie qui t’aurait condamnée au motif de sorcellerie. En revanche il pourrait te faire un procès en hérésie, car ton Dieu n’est pas le sien.
La duchesse apprit à Jeanne que l’évêque venait d’envoyer dans le Barrois un groupe de religieux chargés d’une enquête de moralité sur la Pucelle.
– Il sera déçu, dit Jeanne. Personne, entre Vaucouleurs et Neufchâteau, ne pourra dire du mal de moi. Je n’ai jamais fait de tort à quiconque.
La duchesse proposa à Jeanne de changer de tenue.
– Les vêtements que tu portes sont indécents, ils puent et sont vermineux.
– Ce sont les odeurs de la guerre, madame, celles qui m’ont accompagnée dans mes campagnes. Elles me sont familières et me rassurent. Quant à la vermine, ce n’est pas sur ma peau qu’elle grouille. Lorsque j’ouvre les yeux je ne vois qu’elle autour de moi.
Petit rire perlé d’Anna Bavon.
– Allez-vous garder votre sérieux, petite sotte, lui lança la duchesse. Jeanne, j’aimerais faire en sorte que tu sois mieux traitée. Tu dois avoir froid et mal supporter ces chaînes. On ne traite pas ainsi une prise de guerre ! On souhaite te garder en vie jusqu’au procès et l’on t’expose à mourir de froid !
Avant de se retirer, Mme de Bedford tendit sa pelisse de renard à Jeanne qui refusa et la remercia.
– Ce serait un sacrifice inutile, dit-elle. Je n’ai droit qu’à une couverture, mais rassurez-vous : ce n’est pas le froid qui aura raison de moi...
La duchesse s’étant retirée en laissant la porte entrebâillée, Jeanne surprit des éclats de voix montant des premières marches de l’escalier menant à l’étage ; celle de la duchesse dominait ; elle s’égosillait, criant :
– Que faisiez-vous dans la salle haute, monsieur mon époux ? Ne m’aviez-vous pas promis de rester à l’écart de cette opération ? Vous me rendrez compte de ce comportement odieux !
Un moment plus tard, entrant dans la cellule porteur de la soupe, Berwoit dit à Jeanne :
– Je viens d’en apprendre de belles ! Pendant que les matrones t’examinaient, monseigneur le duc était à l’étage en train de se rincer l’oeil par les fentes du parquet ! Tu as entendu la scène de ménage. Elle a fait du bruit... et elle en fera encore sûrement.
Jeanne n’avait pas eu tort de se méfier de ses geôliers. Outre qu’ils s’en tenaient rigoureusement aux consignes, ils en rajoutaient volontiers. Berwoit était le seul des cinq houspilleurs à daigner de temps à autre, discrètement, lui apporter quelque réconfort, au point qu’il lui arrivait de bavarder avec elle. Les quatre autres : de la pègre, et de la plus vile nature, qui prenaient plaisir à tourmenter leur prisonnière. Les gardiens de nuit l’éveillaient dans son sommeil en imitant ses voix ; ils lui annonçaient un jour qu’elle allait être délivrée par grâce royale et un autre qu’elle allait être brûlée vive. Pas dupe de ces manoeuvres visant à saper son moral et à la rendre docile, elle se réservait de s’en plaindre à l’occasion au gouverneur.
Un matin, alors qu’elle se trouvait aux latrines situées sur le même palier, l’un des houspilleurs feignit de pénétrer par inadvertance dans ce réduit dont la porte
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