La couronne et la tiare
de nous fournir une réponse. Et voilà bien le pire ennemi des années l’ajournement des chefs, la mollesse du suzerain, la nonchalance du prince… Et pendant ce temps-là, l’ennemi renforce ses défenses, aiguise soigneusement ses armes et même reçoit un supplément d’hommes adurés (345) dont peut-être dépendra le sort de la bataille… N’oubliez point cela en ce qui nous concerne : le roi n’est plus qu’un fantôme de roi et son fils un valétudinaire. Les Goddons sont fiers de leur roi et de leur prince. Pas nous. C’est ce qui fait la différence. Nous sommes malades de notre royauté.
Il faisait bon dans ce beffroi édifié en hâte, mais solide, rassurant. Et qu’importait qu’il se révélât inuti le ! Sa nécessité s’imposait déjà non point comme un fait de guerre mais comme une exigence due à la saison.
– Tout ce que nous faisons ne servira qu’à nous humilier une fois de plus devant les suppôts d’Édouard III.
– C’est mon avis, dit Paindorge… Je me demande s’il fait aussi froid à Gratot.
– N’en parle pas, compère, exigea Tiercelet.
– Bah ! fit Tristan. Je souhaite qu’ils soient heureux.
Jamais il ne parviendrait à les oublier. Jamais.
Il y avait, auprès d’Alcazar, maintes épaisseurs de paille. Il alla s’y allonger. Quelque chose lui manquait ou quelqu’un dont il se refusait à formuler le nom.
*
La froidure s’aggrava. Quelques chalands destinés à couper le cours de la Seine arrivaient encore – sans hâte. Dans leurs flancs rebondis on avait entassé des poutres, des madriers, des vivres – sacs de lentilles de noix et noisettes, de vesces et de bettes – des sagettes et des couvertures. Chaque matin et chaque soir, des pontonniers allaient vérifier les liens de fer et de chanvre qui assujettissaient les bastions petits et grands de la muraille flottante.
On avait dû guérir quelques cas de cachexie, de fièvre palustre, mais dans l’ensemble, la santé des hommes restait parfaite, les Goddons et les Brabançons sonnaient parfois du cor. L’on ignorait si c’était une nargue destinée aux assiégeants ou un signal lancé à des compères hors de l’enceinte. Et puisque les bastides existaient maintenant on y attendait midi et soir la pitance en soignant les chevaux ou fourbissant les armes. Le feu, le plaisir d’en partager les bienfaits avec ses compagnons et de se délecter d’un vin chauffé aux braises semblaient à Tristan des rites d’autant plus délicieux entre tous que le temps se montrait de plus en plus acerbe : sec, venteux, froid. Point besoin de parler : les flammes et le bois qu’elles vermillonnaient accaparaient les regards et les esprits. Il eût été incongru d’interrompre leurs murmures et craquements.
En compagnie de Sacquenville, de moins en moins disert, il accomplissait parfois une visite aux hommes de guet. Leur vigilance semblait sans faille. Ils redoutaient moins l’ennemi qu’un soudain assaut de l’hiver.
A chaque aube, ils interrogeaient anxieusement le ciel. Lors de l’approche de la froidure, il s’était montré souventefois noir et gris, tumultueux. Désormais, il semblait vide, d’une limpidité d’eau de source ; un soleil splendide y régnait et ses rayons lançaient sur la contrée une pluie d’or glacé. On eût dit que les oiseaux pressentaient un hiver exécrable : plutôt que d’ambitionner d’invisibles sommets, ils volaient à quelques toises du sol et de la Seine et s’abstenaient de saluer l’aurore. L’on sortait de l’oppression d’une nuit de froid et de silence pour entrer dans un jour de silence et de froid. Et tout en marchant pour se ré chauffer après avoir bu deux ou trois gobelets de vin chaud. Tristan songeait mélancoliquement à Gratot quand ce n’était à Castelreng. Là-bas, au châtelet familial, dès le petit matin, on était imprégné de tiédeur, impatient de piéter ou de galoper dans la lumière réapparue, de prendre un bain de fraîcheur sous la voûte des arbres qui, depuis une éternité, assiégeaient la vieille demeure. Les oiseaux chantaient, pépiaient ; c’était un pétillement joyeux, annonciateur d’une journée dont on serait marri d’atteindre les limites. Ici, à Rolleboise, la rigueur s’intronisait, le froid prenait ses aises et le vent, son allié, semblait forcir sans trêve.
*
Octobre s’écoula, de plus en plus frileux. Point de bataille : de part et d’autre on s’observait.
Les
Weitere Kostenlose Bücher