La couronne et la tiare

désormais sa fureur sur les arbres.
    Et le froid s’accrut encore, ivre de cruauté, de vigueur et d’audace. Il fallut calfeutrer les baies, jointoyer une fois dedans, la nuit venue, les portes des bastides avec des lanières de peaux de mouton, des ripailles encore chaudes et des linges.
    Un jour que Tristan, à l’invitation de Sacquenville, était allé piéter sur la berge de la Seine, son attention fut attirée par quelques épaves blanchâtres au milieu du Heuve.
    – Agar (348)  ! s’exclama le compagnon de Boucicaut. Des glaçons !
    – C’est ce que je me disais, fit Tristan, tout frissonnant de cette découverte. Il doit faire à Paris plus froid qu’à Rolleboise… Et voyez : ces glaçons se collent aux bateaux.
Bah ! fit Sacquenville, ils finiront bien par se dégager.
    Le fleuve, pourtant large en ces lieux, parut se rétrécir de nuit en nuit et ses eaux blêmes se figer dans des corselets de glace. Et l’on avait beau casser maintes fois par jour l’écorce de plus en plus épaisse qui se formait à l’arrière des barges et des petites nefs attroupées sur la Seine, elle réapparaissait la nuit, de plus en plus tenace, de plus en plus épaisse, de plus en plus menaçante.
    –  Si la Seine cesse son cours, elle deviendra glace. Une glace dont l’étreinte finira par broyer notre flotte !
    – C’est vrai, Tristan, approuvait Tiercelet. Pour protéger toutes ces nacelles, il faut casser la glace la nuit aussi, aux flambeaux.
    – Sacquenville ne croit pas que la Seine sera prise entièrement. Moi, si.
    Il neigea une semaine entière, juste de quoi provoquer un adoucissement lors duquel on sortit les chevaux dans une neige épaisse où toute glissade était impossible, puis le froid revint changer la neige resplendissante en marbre.
    Fin décembre, un gel terrifiant pétrifia Rolleboise et par-delà, semblait-il, tout le royaume de France 115 . A coups de cinglons forcenés, le vent s’acharna deux jours et deux nuits sur les bastides, les dépouillant d’une partie de leurs bardeaux pourtant cloués à la charpente et revêtus d’une épaisse couche de neige. Quand ses mugissements et son souffle cessèrent, il fallut s’empresser de réparer les toits car la neige recommençait à tomber.
    Elle chut tellement drue et durcie par le froid des hauteurs qu’on eût dit des grêlons s’abattant sur la terre.
    – Il semble que Dieu nous haïsse ! enragea Tiercelet, de plus en plus renfrogné. Si nous n’étions pas un petit ost du roi de France mais une compagnie comme j’en ai connu certaines, Rol leboise tout entière serai nôtre !… Plus on atermoie, plus on fait tort à la victoire en amenuisant la confiance et la santé des hommes.
    – La France, approuvait Tristan, est un pays de capiteux (349) de grand courage. Il nous faut surquérir (350) ces Goddons. Le froid deviendrait notre allié car ils sont sans doute plus déforcis que nous. Les pernions (351) qu’ils ont aux mains préjudicieraient leurs archers. Si je nous commandais, ce donjon serait nôtre.
    Prise sur toute l’étendue de son cours, la Seine n’était plus un fleuve mais un vaste chemin blanc, et qui çà et là miroitait entre deux talus tachetés de noir. Les écailles des glaçons s’étaient peu à peu rejointes, agglutinées, épaissies. Voulait-on traverser cette couche de glace qu’une longueur d’épée n’y suffisait pas. Sous son étreinte, des barques et des acons (352) craquèrent. On craignit de voir toutes les coques écrasées une à une, et même toutes ensemble si le gel persistait.
    Trois hommes moururent de congestion, le cerveau et les poumons subitement engourdis par la froidure alors qu’ils étaient apostés en plein jour, l’un sur une barge au milieu de la Seine, les deux autres sur une motte, à moins de cent toises des Anglais. Il fallut rassurer les autres, ce à quoi Sacquenville et Tristan s’employèrent sans grande réussite. Tous regardaient le donjon maudit, désormais imprenable, et sachant que l’hiver serait long et terrible, ils enrageaient de ne pas revenir à Paris, à Vincennes ou dans leur logis qu’ils appelaient désormais leur foyer sur un ton à la fois rude et mélancolique. Tristan s’émouvait de voir ces visages amaigris, rougeâtres sous l’indispensable calette (353) dont la double retombée protégeait insuffisamment les oreilles. Ils exprimaient une incertitude sans fond.
    Comment vaincre les emmurés de Rolleboise ? Ils avaient