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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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bastides avaient été aménagées, renforcées, quelques-unes même, agrandies. Désormais tous les chevaux y étaient au chaud. Des provisions arrivaient de loin en loin de Paris – sur des chalands occupés par quelques archers. Certaines venaient également de Rouen. On les avait entassées sur des voirolles, ces bateaux non pontés de la côte normande, gréant une voile au tiers.
    De part et d’autre on fourbissait les armes. Et c’était tout.
    Novembre vint, plus froid encore, poudré d’une neige qui disparut sous le vent. On attendait toujours.
    – Si nous ne les assaillons pas, il nous faudra passer l’hiver, redoutait Tristan.
    – On croirait, disait Paindorge, que le dauphin ne sait plus que faire.
    – Nous sommes coupés du monde, grommelai Tiercelet. Nous ne savons plus rien de ce qui s’y passe. Je commence à regretter Avignon… Et toi, Matthieu regrettes-tu Châteaudun ?
    – Nullement. Avec vous, je me sens en famille.
    – Et toi, Tristan, à quoi penses-tu ? A Gratot ?
    – Non. A des hommes que je n’aime pas : Audrehem et l’Archiprêtre. Je voudrais connaître leurs menées. Savoir s’ils ont aussi froid que nous.
    – J’ai appris, messire, que l’Archiprêtre était à Aussay (346) et qu’il y faisait la guerre pour protéger la noblesse.
    – Protéger !… Par ma foi c’est un mot qu’il ignore.
    –  C’est sa femme. Jeanne de Châteauvilain qui l’y a poussé (347) .
    – Tu le connais mal. Jamais il n’acceptera que quiconque le pousse ! S’il va de l’avant… à la façon du serpent, c’est par cupidité ! Cet homme est un vautour qui se repaît d’argent !
    On attendait sans trop savoir qui ou quoi. Le froid, lui n’attendait pas pour affermir sa saisine sur le pays de Rolleboise. Il semblait que l’air et le sol s’asséchaient sous son intangible contrainte. Le ciel de cristal s’enténébra, devint pesant, menaçant : il neigea encore, cette fois pendant deux jours. Agriffés sur les hautes branches des arbres décharnés, des freux vinrent coasser toute une matinée leur inquiétude, puis s’envolèrent vers le sud.
    Les bastides en partie couvertes d’un suaire pétrifié avaient pris l’aspect de ruines crayeuses d’où pendaient, tombant des toits de bardeaux pentus, des morves grises, verglacées, pareilles à des poignards ou à des dents gigantesques. On s’aperçut que le pain pouvait geler. Parfois, du pommeau de son épée, Tristan cassait quelque croûton pour aller en jeter les miettes aux oiseaux de plus en plus nombreux, de moins en moins craintifs.
    On changeait fréquemment les regards 114 . On marchait en claquant la semelle afin que le sang circulât dans les pieds, mais on relevait déjà quelques cas d’engelures. Dans cette blancheur mate, grisâtre par endroits, et cette immobilité des choses à l’entour des bastides – arbres, roncières, herbes hautes, taillis comme frappés d’un néfaste enchantement –, les hommes quels qu’ils fussent semblaient étrangement solennels. Le dos voûté, le geste rare, ils se saluaient d’un mot enfumé par leur haleine, un seul mot comme si d’autres eussent pu geler au sortir de leur bouche ou demeurer collés à leurs lèvres. Tristan, les yeux endoloris par la blancheur des jours, lisait sur le peu qu’il voyait des visages entortillés dans des linges, une sorte d’angoisse ou de résignation.
    Certains soudoyers semblaient passer leur temps à piétiner la neige glacée de leurs heuses emmitouflées d’étoffes laineuses et se battaient les flancs de leurs mains fourrées de moufles ou de mitaines découpées et cousues par eux-mêmes dans des peaux de mouton encore tavelées du sang de la victime. D’autres, tout aussi chaudement vêtus, couraient du mieux qu’ils le pouvaient jusqu’à la Seine pour encourager leurs compères de service sur les bateaux, puis revenaient vers ceux dont la tâche était d’observer le donjon ennemi. On eût dit des monolithes noirs, exhaussés sur un socle de glace et comme soudés à un vouge ou une guisarme. Ils formaient une ligne de colonnes incertaines sur le linceul mouvementé dont le dernier pli touchait aux murailles détestées.
    « Ont-ils tant de vivres ? » se demandait Tristan. « Y a-t-il un souterrain qui leur permet d’aller s’approvender quand bon leur semble ? »
    On allait de plus en plus loin bûcheronner pour l’entretien des feux. Plutôt que d’en accabler les Goddons, on passait

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