La couronne et la tiare
bois de charpente et des vivres. Sacquenville, qui semblait informé de tout, accueillit les bateliers et leur enjoignit de demeurer sur place : leurs coques seraient les premières employées au barrage de la Seine. Les maîtres chalandeaux se regimbèrent. Des menaces les contraignirent à accepter leur sort. Le merrain apporté ne pouvant suffire à l’érection des bastides, il fallut bûcheronner aux environs. D’autres chalands apparurent, et cette batellerie, vidée de son contenu, commença d’encombrer la Seine. Il y avait là des coques de toute forme et de toute taille : des hourques, des barges de pêcheurs, des baleiniers et balinghières (341) , une grande nef bretéchée venue tellement quellement de Rouen ; des voirolles (342) et même un bateau de selle (343) don des lavandières de Poissy qui s’en iraient, désormais, battre leur linge à même la berge du fleuve. Toute cette flotte solidement ancrée se maintenait flanc contre flanc, sur deux rangs, et pour qu’elle fût intransperçable, on n’avait ménagé ni les cordes ni les chableaux (344) . A l’avant de trois flettes et deux gabarres, les gattes où l’on rangeait, d’ordinaire, les chaînes et les câbles à mesure de leur rentrée dans le bâtiment, avaient été pourvues de gerbes de sagettes et carreaux d’arbalète. Vingt hommes veillaient là jour et nuit. Sacquenville ne cachait pas son émoi :
– Ce devait être ainsi à l’Écluse, mais cette fois, nous vaincrons ces démons s’ils veulent nous assaillir par eau.
A terre, les bastides de bois s’élevaient, et pour vaincre le froid, on comblait de terre et de paille jusqu’à la moindre entrebâillure. On voyait quelquefois, au sommet du donjon, quelques hommes de Rolle-boise. Ils observaient et disparaissaient.
– A leur place, disait Tristan, je ferais une sortie.
– Pourquoi ? s’étonnait Tiercelet. Ils nous croient un millier sans doute. Toute perte, chez eux, serait un grand préjudice… Ils ont certainement de la nourriture en abondance…
– Nous aussi, répétait Sacquenville. Nous sommes riches de pourvéances : biscuits, farines, viande, pains, vin, cervoise, cidre ; moyeux 110 moult battus, en tonneaux… J’ai donné com mandement que l’on pêche à la verge sur tous les bateaux… Il y a de gros poissons, des anguilles…
– C’est vrai… Mais le froid les tient pour la plupart au fond.
Un matin, Tristan demanda :
– Yvain, avez-vous prévu que nous pouvons passer tout un hiver à Rolleboise ?
– J’ai prévu la brelée 111 et les trosses 112 .
– Et le fourrage pour les chevaux ? En avons-nous en suffisance ?
– Oui… Mais quand je vois le temps qu’il fait, je vais en demander davantage.
– Il nous faut aussi des flassardes 113 et des peaux de mouton. Tous nos hommes flairent un hiver détestable.
– Il sera plus détestable encore pour ceux que nous assiégeons !
Sacquenville paraissait toujours sûr de lui. On eût dit qu’il commandait aux événements plutôt que d’en être, comme tous, tributaire.
Les bastides poussaient autour de Rolleboise. Tristan se demandait de plus en plus souvent si quelque souterrain partant du donjon pour aboutir quelque part en aval du barrage de bateaux et au-delà des beffrois, ne permettait pas aux Anglais et Brabançons de Wauter Strael, d’aller quiètement se procurer tout ce dont ils avaient besoin.
– Nous devrions les assaillir, dit un soir Matthieu tout en frottant ses mains au-dessus d’un grand feu sur lequel rôtissait un quartier de bœuf.
– C’est vrai, dit Tiercelet. Mais n’aie point hâte, blanc-bec, d’exposer ton corps aux sagettes anglaises. Les Goddons – et surtout les Gallois – sont meilleurs que nous en archerie.
– Il a raison, dit Paindorge… Et cependant, Matthieu, tu as raison toi aussi… Que l’hiver se durcisse, qu’il neige et qu’il gèle, et nous regretterons d’avoir atermoyé… Pas vrai, messire ?
Tristan était le seul qui fût resté debout. Il regarda, autour de lui, les boiseries auxquelles adhéraient encore, çà et là, des mousses et des fragments d’écorce, puis les chevaux séparés par quelques planches, paisibles et comme endormis.
– C’est vrai qu’il faudrait mener l’assaut maintenant. Nous attendons un commandement qui tarde à nous être donné. Pourquoi ? Il faudrait le demander au dauphin qui, peut-être, se réfugierait dans d’interminables tergiversations, au lieu
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