La couronne et la tiare
du bois : l’on voyait fumer leurs cheminées. Ils avaient à manger : aucune sortie n’avait été tentée. Ils semblaient gais : leur cor meuglait cinq à six fois par jour, et même certaines nuits pour prouver leur vigilance. Rolleboise apparaissait comme un sanctuaire inviolable où il faisait bon vivre : le gel ne pouvait traver ser des murailles épaisses d’une toise quand ce n’était davantage.
Le froid rapetissait les courages, raréfiait les mouvements, propageait des rhumes, indisposait des viscères et il était impossible d’aller tomber ses braies au dehors : c’eût été encourir la male mort.
On vivait mal. De petites confréries se formaient d’âmes saines, solides, et qui réconfortaient les défaillances. Il fallait tenir. Mais tenir pour quoi et pour qui ? Par ce temps, aucun messager ne se fût risqué à galoper de Paris à Rolleboise et inversement. Était-ce ainsi dans tout le royaume ? Au-delà ? Ne pas couvrir son nez si l’on était à l’air, c’était le perdre. D’ailleurs, il faisait si atrocement froid que les barges avaient été abandonnées. Les Anglais les eussent pu embraser aisément, mais ils ne s’en souciaient. La preuve en fut donnée aux Français un matin où ils assistèrent à ce qu’ils n’attendaient pas :
La porte ferrée de Rolleboise béa. Une trentaine de Goddons la franchirent sur des chevaux houssé de peaux de bêtes et ferrés à glace.
– Vont-ils nous assaillir ? demanda Matthieu.
– Ils ne sont pas en nombre, dit Sacquenville que l’audace des hommes de Wauter Strael suffoquait.
– Laissons-les s’éloigner et assaillons le reste de la garnison, proposa Tristan.
C’était certainement sagesse. On avait un bélier, 0n défonçait le grand huis qui maintenant se refermait et l’on faisait irruption dans la cour…
– Nous ne sommes ni en nombre ni en état de les assaillir, dit Sacquenville.
– Notre vaillance suppléera, j’en suis sûr, à tout ce que vous pouvez nous reprocher !… Regardez, Yvain : ils traversent la Seine… Nous pouvons tout au moins les empêcher de revenir dans les murs !
– La glace va s’ouvrir et les engloutira.
Tristan sentit la fureur lui réchauffer les sangs.
– La glace est plus épaisse que les parois du Château-Gaillard !… Faisons en sorte d’anéantir ces trente hommes !
Il se reprocha aussitôt d’avoir pris un ton presque suppliant. Mais quoi : trente démons de moins, c’étaient des vies préservées du côté de la France. Il ne comprenait pas que Sacquenville hésitât. Pis même : qu’il ne voulût point se battre. Il éprouvait, au-delà de sa déception, un mépris grandissant pour ce prud’homme trop frileux dont la mollesse et l’indécision ressemblaient à de la couardise.
Où vont-ils ainsi ?
– Quérir, Yvain, de la nourriture dont nous pourrions les priver. Ils ne peuvent faire que cela… ce qui signifie qu’ils peuvent être à nous pour peu que nous le voulions.
Tiercelet. Matthieu et Bohémond, qui s’étaient approchés des roseaux de la berge afin de voir de plus près ces aventureux, revinrent leurs visages animés d’une espèce de joie.
– On assaille le reste ? proposa le brèche-dent.
– Non dit Sacquenville.
– Eh bien, dit Paindorge, attendons ceux qui sont partis. Quand ils reviendront, perçons-les de nos traits d’are et d’arbalète ! Aucun ne regagnera son gîte !
– Voulez-vous, écuyer, me dicter ma conduite ?
A travers la brume de son souffle, Sacquenville offrait un visage rouge dont le nez vermillonné, un instant révélé sous sa capuce de fourrure, semblait la honte et l’ornement. « Est-ce un couard ? » se redemanda Tristan. Une quinzaine d’hommes étaient présents, tapant des pieds, les bras ramenés sur leur poitrine. Sans doute eux aussi se posaient-ils cette question et y répondaient-ils par l’affirmative. Il percevait, intense et naïve, leur volonté de guerroyer et leur certitude de vaincre pourvu qu’on leur en fournît l’occasion. Leur courage, leur hardiesse, leur vigueur contrariés tout à coup par quelques mots mal heureux donnaient à leur haleine cette puissance et cette vapeur qui se répandait sur les poils de leurs longs manteaux en minuscules gouttes lumineuses.
– Je ne veux rien vous dicter, messire, grogna Paindorge. Moi, si j’étais le maître, c’est ainsi que j’agirais. Faudrait savoir un peu si nous faisons la guerre ou si notre
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