La couronne et la tiare
pourvu (358) !
– Certes, monseigneur.
– … fécond comme le chiendent !
Que dire ? « Hélas ! » ou acquiescer ? Le dauphin se leva et se mit à marcher. Par l’ouverture de sa houppelande, Tristan put voir qu’il portait une robe de tartare, cette riche étoffe d’or et de soie azurée qu’il n’eut dû revêtir que lors des cérémonies. Pour un homme qui passait pour avaricieux et de goûts simples, c’était presque une espèce de provocation qu’il s’adressait à lui-même. A moins que ce vêtement n’eût appartenu à son père et que, comme certains chiens esseulés, il aimât à en respirer l’odeur.
– Ce que je crains, Castelreng, c’est que le Mauvais ne perpètre quelque abomination à mon égard… Il en a coutume… Vous en souvenez-vous ? C’est lui qui arma le bras de Perrin Marc contre mon bon ami Baillet !… C’est lui qui commanda à Phelipot de Repenti de m’occire 120 … J’ai… Ah ! Je ne trouve pas le mot.… J’ai ce qu’on appelait jadis une premonicion… Je suis certain que dans l’ombre, il trame un meurtre, mon meurtre !
« Et dire, songea Tristan, qu’ils ont été comme cul et chemise !… Mais le Mauvais veut cette couronne qui branle sur cette tête pâle aux cheveux déjà clairsemés. »
– Je vous veux à mon service.
– Monseigneur, j’aime à penser que j’y suis déjà.
– Je vous y veux davantage… Je veux vous voir céans du matin jusqu’au soir. Je vous trouverai un hôtel…
– Monseigneur, je ne suis pas seul. J’ai trois compagnons avec moi.
– Eh bien, vous vous hôtèlerez ensemble sans souci de payer le gîte et le couvert.
Il fallait s’incliner même si l’on éprouvait la sensation de s’enchaîner.
« Jamais un Castelreng ne prendra les façons béates d’un homme curial ! »
Comment se soustraire à cette servitude ? Le prince souriait, lui, comme en proie à un sentiment délicieux fait d’un indéfinissable mélange de sécurité, d’incertitude et d’attente, le regard levé sur le linteau de la cheminée. Une couronne d’or y brillait entre deux chandeliers de cuivre. Ce n’était certes pas celle du sacre. Elle était de hauteur plus petite et sans aucun joyau, mais les petites fleurs de lis dont le joaillier l’avait pourvue semblaient prêtes à s’épanouir.
*
Le mardi de la mi-carême, 27 février 1364, Charles, duc de Normandie, lieutenant du roi en l’absence de son père, convoqua le Parlement en séance solennelle. Il le présida pendant trois jours afin de juger si le défi de messire Felton, sénéchal du Poitou, contre Bertrand Guesclin était ou non recevable. Trois jours pour parvenir à ce syllogisme :
La loi ne permet les duels qu’à défaut de preuve testimoniale. Or, au Pas d’Evran, Guesclin a déclaré, en présence de deux cents chevaliers et écuyers, qu’il ne resterait otage que pendant un mois. Au bout de ce laps de temps, ayant tenu sa promesse, il a mis fin à son otagerie.
Donques, messire Felton n’est pas recevable à appeler Guesclin en champ clos pour manquement à sa parole, puisqu’il avait pris à témoin deux cents prud’hommes.
Les deux premiers jours, le roi de Chypre avait fait acte de présence. Le troisième, tout aussi las de ses voyages que des parlures auxquelles on l’avait convié, nul ne le vit ni dans les ap partements ni dans les galeries que Tristan avait mission de surveiller, assisté en cela de Paindorge, Tiercelet, Matthieu et quelque trente hommes d’armes porteurs de la livrée royale dont le prince Charles, déjà, faisait un usage que d’aucuns trouvaient immodéré 121 .
Lorsque le Parlement eut rendu sa sentence, Tristan et Tiercelet virent sortir Felton, livide et comme outragé, entouré de ses gens vêtus de fer et l’épée cliquetante.
– Il s’en tire à bon compte, dit Tristan.
– Crois-tu ? C’est peut-être le Breton qui vient de sauver sa vie.
Et Tiercelet, qui avait écouté aux portes, d’ajouter :
– Le grand perdant, c’est Guesclin. L’arrêt qui vient d’être rendu dispense le Goddon de payer les cent mille francs de dommages et intérêts que le Breton lui réclamait.
– Bah ! L’un et l’autre se revancheront par des pillages.
Le dauphin passa, entouré de ses adulateurs, l’œil droit, sa main valide repliée sur un sceptre imaginaire, l’autre formant à elle seule le globe souverain – un globe rouge, gercé de froid, où brillait, sur un
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