La couronne et la tiare
vague, agréable à entendre : les joues exsangues de l’héritier d’un royaume se teintèrent.
– Il ne peut nous apporter une aide efficace, du fait de cette calomnie de Felton qui prétend qu’au Pas d’Évran, il a fait un serment qu’il a rompu après un mois de captivité chez ce truand de Robert Knolles. Il va comparaître devant nous avec son accusateur…
Le dauphin employait-il, déjà, le pluriel de majesté ?
– Vous serez près de moi, Castelreng… J’ai besoin de… protection… Mon père n’est point en bonne santé. Je l’ai dissuadé de retourner à Londres…
Cela devait être un mensonge : le dauphin ne se considérait plus comme le substitut de son père. Il régnait. C’était lui qui avait commandé l’expédition de Winchelsea, c’était lui qui avait décidé l’encerclement de Rolleboise. Et moult autres choses encore.
– Je crains, Castelreng, qu’il n’y meure plus vélocement qu’il ne le mérite car…
Le dauphin reprit son souffle. Venait-il de s’apercevoir qu’il avait lâché une énormité ? Il était avéré qu’il détestait son père. Mais à ce point ?
– … car, disais-je, il se passe à Londres des choses pour le moins étranges… Nos otages y meurent en quantité… anormale 119 . Le comte de Saint-Pol, trépassé ; monseigneur de la Roche, trépassé ; monseigneur des Préaux, trépassé… D’autres encore, tel Rogues de Hangest, mort, lui, en septembre dernier… Tous des nobles hommes dont le nom m’échappe… et des bourgeois qui eux aussi, depuis ce désastreux traité de Brétigny-les-Chartres, étaient otages pour mon père !… Je ne crois pas à une épidémie. Je crois que sciemment on les… supprime en les enherbant… Oui, Castelreng, je crains pour mon père ! Je vais envoyer Boucicaut… Le Meingre me dira vraiment ce qui se passe…
Un silence s’ensuivit, empli des crépitements de l’âtre. Le dauphin regardait attentivement le feu comme pour y réchauffer son esprit tout autant que son corps. Tristan se dit que c’était un privilège insigne de se trouver seul en présence du futur roi de France. D’autres que lui en eussent apprécié les délices et se fussent vus, sans doute, à l’issue de cet entretien, projetés vers des sommets. Il ne ressentait rien qu’un ennui infini et songeait par à-coups à ceux de Rolleboise. Aux morts pour rien, à la fainvalle qui commençait à se faire sentir alors que les assiégés semblaient à l’aise aussi bien dans la froidure que devant une table.
– Je n’attends rien de bon de Charles de Navarre.
– De lui, monseigneur, il ne faut attendre que la guerre.
– J’avais pensé, Castelreng, que le roi de Chypre, dont j’espère le retour, pourrait… l’assagir… Lui faire comprendre qu’ils devaient se réserver, lui et ses hommes, pour cette Croisière à laquelle je songe fréquemment !… Une réconciliation devant le tombeau du Christ… Anglais, Navarrais, Français et même routiers redevenant des hommes de bon sens et de fraternité… Les Mores ne sont pas les guerriers que nous sommes… Les lieux saints doivent nous revenir… Mais je crains que cette belle et grande idée ne soit qu’une chimère, et que le Mauvais ne songe qu’à reprendre la guerre contre nous avec l’assentiment et l’aide d’Édouard…
Tristan acquiesça. Cette croisade ne se ferait pas. Jamais un routier ne consentirait à partir pour Jérusalem. Jamais Édouard III ne s’aventurerait si loin de l’Angleterre.
– J’ai peur.
C’était inattendu. Tristan sourcilla. Était-il possible qu’il fut le témoin d’une défaillance de cette espèce ? Le dauphin devait se sentir bien seul ou bien découragé pour lui ouvrir son cœur.
– Les desseins du Mauvais seraient grandement simplifiés si, mon père étant retenu sur la Grande Ile par son complice, il m’advenait de trépasser. Je n’ai point de fils.
Était-ce un cri ? Un sanglot ? Était-ce le départ du roi Jean qui rendait le prince Charles mélancolique ? L’état précaire de sa santé ? Son incapacité à engendrer un mâle ? Tristan imagina ce malade fourgonnant sa femme autant qu’il le pouvait dans l’espérance qu’elle enfanterait cet héritier sans lequel la Couronne des Valois, qui l’avaient usurpée aux Capétiens, pour une raison analogue, reviendrait à ses justes possesseurs soit dans la paix, soit par la guerre.
– Il en a, lui, des fils ! Il en est bien
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