La couronne et la tiare
sillage du duc de Normandie –, Tristan, le soir, retrouvait ses amis autour d’une table, près de l’âtre illuminé de La Main d’argent, une hôtellerie des plus convenable. Les chambres étaient petitement chauffées, la nourriture bonne et substantielle, le vin avait du corps ; les deux servantes aussi. Point trop laides, elles étaient filles d’un couple d’aubergistes qui, après le sac de Gentilly par les Anglais, s’étaient installés à Paris. Ils y avaient aisément réussi : la proximité du Louvre en construction y était pour quelque chose.
Quelles que fiassent les qualités de ces gens accueillants, Tiercelet s’ennuyait et sa morosité déteignait sur Paindorge. Matthieu, lui, s’en allait chaque jour piéter dans Paris. Il advenait qu’il rapportât quelques nouvelles dignes d’intérêt, mais la plupart restaient décevantes. Le froid ne cessait de faire des victimes. Le bois de chauffage manquait et les hommes du guet surveillaient les arbres. Quiconque pris à casser une branche eût encouru un châtiment sévère – la mort disaient certains sans référence aucune. A la disette des vivres commençait à se substituer la famine chez les vieillards qui ne pouvaient quitter Paris pour aller, loin de l’enceinte, se procurer une nourriture dont le prix ne cessait d’augmenter. Quand les Anglais, pour la seconde fois, avaient menacé la cité, on s’y était serré les coudes. A cette accointance succédait soit l’indifférence, soit une hostilité pareille à celle qu’on avait connue seize ans plus tôt : les malheurs enfantés par la peste blanche subrogeaient ceux de la peste noire toujours précis dans la mémoire des survivants. Seuls les bourgeois fafelus et retors, aux escarcelles rondelettes, parvenaient à se chauffer et à manger décemment. Or, si la froidure ne les inquiétait point, sans doute s’effrayaient-ils de penser que Paris pouvait souffrir d’un long siège. Ce n’était un secret pour personne que Charles de Navarre allait recevoir des renforts d’Angleterre en hommes et en armements, et que le captal de Buch, ce redoutable guerrier, était attendu en Normandie.
A la fin de la seconde semaine de mars, un gros rhume contraignit Tristan à s’aliter quelques jours. Il apprit, par Tiercelet, que Guesclin venait de réapparaître à Paris et qu’il allait, avec ses hommes, partir pour Rolleboise. Le dauphin Charles avait mandé aux principaux seigneurs de Normandie et Picardie de rejoindre le Breton à Mantes qui, comme Meulan, appartenait au roi de Navarre. Ensuite, le brèche-dent rapporta que si les bourgeois et les manants de Mantes avaient accordé l’hospitalité aux nobles hommes, ils avaient refusé d’ouvrir leurs portes à une piétaille réputée pour sa malfaisance. Les Bretons, qui n’étaient point avares d’excès de toutes sortes, s’étaient trouvés offensés bien que leurs capitaines eussent été acceptés en ville. Le 24, l’entente était si complète entre les Mantais et les seigneurs français, qu’ils avaient célébré Pâques ensemble, dans la cathédrale…
– … bourrée comme un œuf, dit Tiercelet qui, avec Matthieu, avait parcouru le Louvre afin d’y glaner quelques nouvelles.
Paindorge, au lendemain de cette information, apparut le sourire aux lèvres dans la chambre où Tristan buvait une jatte de lait chaud :
Messire, l’assaut que Guesclin donnait à Rolleboise a échoué.
– Qui t’a dit cela ?
– Bohémond, que Sacquenville a envoyé au dauphin.
– Quoi d’autre – car tu m’as l’air bien réjoui ?
– Strael et ses hommes, lors d’une sortie, ont saisi tout un convoi de vitailles destinées aux Bretons.
– Malheur à ceux qui tomberont dans leurs griffes !
– Sans doute… Guesclin a demandé des bombardes. C’est pourquoi Bohémond est venu à Paris.
– Fort bien. Continue à tendre l’oreille… Et vous deux également.
Tiercelet et Matthieu acquiescèrent. Bientôt Tristan fut seul.
Il se leva. Il se sentait, depuis la veille, en état de convalescence et répugnait à revenir au Louvre. Il s’y morfondait par trop. Il s’ennuyait aussi dans cette chambre tiède où, de la fenêtre, il ne voyait qu’une courette et des toits revêtus d’une neige tenace parce que gelée à outrance. S’il en fondait un peu autour des cheminées, elle formait, plus loin sur la pente, un bourrelet qui s’irisait aux feux d’un soleil languissant. Souvent, dame
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