La couronne et la tiare
s’abreuver à leur content dans l’Eure, et l’on vit arriver les ribaudes.
– Est-ce Guesclin qui les a mandées ?
– Je ne sais, Paindorge, mais vois : la plupart sont nues !
Elles circulaient dans les rangs, obscènes, jetant sur leurs pas, comme des fleurs pourries, des rires abjects, et tendant leurs poings aux Anglais, montrant leurs fesses aux Gascons et invitant les Navarrais à venir toucher leur sexe. Puis elles burent du vin d’une futaille dissimulée dans un chariot et qu’elles venaient de mettre en perce. Et du vin fut servi aux hommes dans des bassines où peut-être, la nuit, elles se lavaient. Puis elles dansèrent la cordace en s’approchant des ennemis, en les excitant, faisant de ces préliminaires guerriers une espèce d’orgie dont Tristan fut écœuré.
– En avant, mes bachelettes 157 ! criait Bertrand. La plus pauvre de vous est riche de vaillance !
Cependant, ses regards allaient très au-dessus de ces nudités vulgaires. Il prenait garde que tous les hommes du captal fussent bien descendus.
– Ils sont à nous, dit-il enfin.
Une clameur souligna l’apparition d’un héraut venu d’en face. Il était jeune – seize ans –, de bonne mine, vêtu d’une armure solide. Ses yeux noirs pétillaient d’une haine insensée.
– Seigneurs, dit-il quand les prud’hommes furent rassemblés autour de lui, le captal de Buch, le Bâtard de Mareuil, Jean Jouel et tous les chevaliers m’envoient vous dire que, par très grand amour, sans pourchasser nul mal, ils vous donneront du vin tout à votre désir. Vous n’avez pas ici grandement à boire et à manger ; d’autre part aussi, vous n’avez nul besoin de livrer bataille ni de vous maltraiter. S’il vous plaît, par répit, de retourner en arrière, volontiers, ils vous laisseront aller et retirer en une autre contrée où vous pourriez gagner davantage. Beaux seigneurs, veuillez-vous consulter sur ce fait, car vous pouvez ici plus perdre que gagner.
– Des nèfles ! dit Guesclin.
Puis, tout sourire ou tout grimaçant :
– Gentil héraut, vous savez bien prêcher. Pour ces nouvelles-ci, je vous donnerai un coursier meilleur que le vôtre, pommelé comme un ciel d’hiver. Oui, je vous donnerai un coursier et cent florins.
– Non, messire.
– Soit… Vous direz à ces gens que nous irons à eux s’ils ne viennent premiers, car je crois, s’il plaît à Dieu, et si je puis accomplir un exploit, que je mangerai un quartier du captal de Buch (420) mais je pense, en vérité, avaler quelque autre chair avant la nuit.
On avait amené une bourse et un coursier blanc. « Moins beau qu’Alcazar », selon Tristan. Le héraut refusa de la main, mais Guesclin tira son épée :
– Tu n’es qu’un bachelier de petite importance.
– Quand on te commande quelque chose, tu dois obéir. Je ne te baille plus cette bourse et ce cheval : je te somme de les accepter. Sinon, si je te vois au cours de la bataille, je te couperai en morceaux !
Le jouvenceau s’inclina autant que le lui permettait son armure. Il accrocha la bourse au pommeau de sa selle et saisit les rênes du cheval que le Breton lui offrait.
– Bon, dit Bertrand, va-t’en et que Dieu te garde.
Le héraut s’éloigna au galop. Tristan le vit trotter quand il eut parcouru vingt ou trente toises. Le captal de Buch s’avança seul vers lui, prit la bourse et les rênes du blanc coursier.
Il se les approprie ! grommela Guesclin.
– Ils s’ordonnent en batailles, commenta le comte d’Auxerre qui ne cessait d’observer les remuements de l’ennemi.
– Avant que nous reculions, dit Guesclin, j’ai envoyé des fourrageurs dans ce champ, là-bas, qui se creuse un peu de sorte qu’on ne voit rien… rien, sinon quelques têtes qui remuent trop fort… C’est bien ça : on les assaille ! Oyez ces cris soudains et ces hennissements !
– Allons-y ! proposa un chevalier.
– Non, Bouestel !… C’est sûrement ce que le captal espère. D’ailleurs, nos bons amis sont hommes à se défendre.
Il devait être midi. Le soleil écrasait la campagne. Les fourrageurs avaient dû être encerclés et attaqués alors qu’ils faisaient leurs trousses pour retourner, satisfaits, parmi leurs compères. Et comme ils reculaient vers l’armée de Guesclin, on vit surgir les combattants, tous à pied, les chevaux s’étant dispersés vers l’Eure.
– Holà ! dit Guesclin, il paraîtrait que mes gars ont le dessous.
On
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