La couronne et la tiare
Puissions-nous y survivre et que nous restions entiers !
Il tremblait. Il songea tout à coup à Thierry. Tout au long du jour précédent et durant la nuit, il s’était refusé de croire à sa présence. Pourtant, aucun doute : Champartel se trouvait là-haut. Il descendait avec les Navarrais !
On avança encore en direction du pont. On s’arrêta comme si l’on attendait quelques attardés : des Bretons, évidemment. Guesclin hurla : « Thibaut ! Thibaut ! » et Thibaut du Pont apparut, enfardelé dans une armure qui paraissait trop lourde et trop grande.
– As-tu peur ?… Non ?… Tant mieux. Nous avons tendu les rets. Voici les oiseaux pris : ils avolent tout droit.
Il se jucha sur son cheval, un barbe tout aussi laid que lui jugea de la situation, puis invita son corneur à souffler dans sa trompe :
– Sonne. Loïc !… Et nous, messires, faisons visage (417) et disposons-nous en batailles. La mienne à senestre ; vous, messire Auxerre, à ma dextre et vous, messire Châlon, à l’autre bout… Mais… où est passé l’Archiprêtre ? Holà ! Les Bourguignons, où donc est votre maître ?
« Il leur parle, se dit Tristan, comme à des chiens. »
Un homme se détacha de la troupe d’Arnaud de Cervole. Un chevalier ? Un écuyer ? Il portait la bannière de l’Archiprêtre : le cerf rampant où les fils d’or se craquelaient, et qui semblait ainsi atteint d’une pelade.
– Messire l’Archiprêtre s’est bouté hors des roues (418) , messire Guesclin, et il m’a dit à moi : « Je vous ordonne et commande, sur quant que vous pouvez mesfaire envers moi, que vous de meurez et attendez la fin de la journée. Je me pars sans me retourner, car je ne ouis, huy (419) combattre ni être armé contre aucuns des chevaliers qui sont par de là. Et si l’on vous demande de moi, vous répondrez ainsi à ceux qui en parleront. » Il est parti avec son écuyer.
Guesclin sourit plutôt que de s’enfelonner. Le courroux, il le réservait pour la bataille. Toutes les ressources d’une énergie passionnée, il en avait besoin. On le sentait pris déjà – et lui seul-par la clameur mouvante des ennemis, par le chaos des armes, des hennissements, des cris et des gémissements. Tristan sentait monter, lui, du fond de son être, une révolte une protestation : aucun homme, dans cette armée, n’avait fait en sorte que l’Archiprêtre y demeurât. Et Guesclin souriait toujours comme si la vue de la bannière délaissée lui procurait du plaisir.
– Tu ferais mieux, dit-il au pennoncier de Cervole, de la laisser choir maintenant… à moins que tu ne veuilles la porter au captal… Ce sera bien la seule qu ’il pourra saisir ce jour d’hui !
– Mais…
– Je ne la veux plus parmi les nôtres !
– Il nous a dit, messire, qu’il avait des amis chez les Gascons…
– Il n’a pas dit aussi : chez les Goddons ?
Certains Bourguignons protestèrent. Ils connaissaient Cervole et le croyaient incapable d’une félonie.
– Bah ! fit Guesclin, il ne nous manquera pas. Je préfère qu’il nous fasse défaut maintenant que lors de la presse. Mais j’aimerais bien savoir où il s’est enfui… A Vernon, sans doute.
Il rit. Tristan joignit son rire à celui du Breton. D’autres ébaudissements permirent de dissiper le mésaise dû à la fuite de l’Archiprêtre. Cette acerbe gaieté réconforta Matthieu, un peu pâle, et Paindorge qui commençait à subir la male peur. Bien que l’on fût arrêté – ou peut-être à cause de cela –, il ne pouvait assagir Tachebrun qui commençait, lui aussi, à flairer la mort.
– Il est temps, dit Guesclin, de tourner notre cul. Faisons visage à mon commandement… Allez : hop !
L’armée tout entière effectua un demi-tour bruyant. Les Navarrais et leurs alliés furent saisis, ébahis par la grande huée qui montait des rangs de l’armée française. Ils eussent volontiers remonté vers leur aire, mais ils ne le pouvaient.
– Voyez le captal, dit Guesclin. Il passe devant eux et les rassure. Il doit leur raconter que nous avons jeûné et que c’est par jactance que nous nous sommes retournés en pleine fuite… Regardez : ils mettent pied à terre. Faisons comme eux !
Des chaudrons circulèrent dans les rangs ennemis. Tristan devina qu’ils étaient pleins de cette soupe au vin qu’il détestait, mais dont les Anglais et les Gascons disaient qu’elle leur donnait du nerf. Les Bretons allèrent
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