La couronne et la tiare
leur hache contre des hommes qui, gênés par leur arc, n’avaient pas eu le temps de tirer leur épée ou leur couteau de brèche.
Guesclin, que suivait Tristan, se rendit compte de l’impossibilité où il se trouvait d’enfoncer avec sa cavalerie une position fortement tenue, et pour cause : le captal y commandait. Il décida de la tourner. Dans ce dessein, il prescrivit à Tristan d’amorcer le mouvement. Or, c’était impossible : les archers refluaient. Mêlée inextricable. Toute la cavalerie, maintenant, avait déferlé sur les épées et les armes d’hast ennemies, mais ce magnifique effort commençait à se briser sur des corps d’hommes et de chevaux. L’armée du captal, entamée dans ses forces vives, résistait avec acharnement.
– Pied à terre.
On obéit à ce commandement venu d’on ne savait où. L’effroyable commença. Des têtes, des bras se rompirent sous les tranchants des haches, doloires, cochoirs et francisques. Tristan vit Thibaut du Pont qui, d’une épée à deux mains, se frayait une brèche chez les Anglais. Sa lame se rompit ; un servant de Bretagne lui donna une cognée. Un chevalier ennemi, malgré la protection de sa gorgière, fut à demi décollé d’un seul coup.
– Saint Georges ! Navarre ! Notre-Dame. Guesclin !
Bertrand, lui aussi, avançait, furieux de sentir devant lui et sa hache une résistance plus drue, plus féroce qu’il ne l’avait imaginée. Car des Bretons mouraient dans son sillage.
– Or, en avant mes amis !… Cette journée doit être nôtre ! Souvenez-vous par Dieu que nous avons un roi ! Il nous faut dignement étrenner sa couronne !
« Il est nu-tête ! »
Tristan ne pouvait s’empêcher d’admirer cette hardiesse. Tête nue, alors que quelques-unes tombaient.
Des pierres se mirent à pleuvoir. C’étaient les ribaudes qui les jetaient. Ces projections plus ou moins violentes ne grevaient guère les ennemis. Quant aux Français qui s’en trouvaient atteints à l’arrière du bassinet, du chapel de fer ou de la dossière, ils maudissaient ces carognes dont la nudité n’excitait plus personne.
– Notre-Dame, Guesclin !
Hurlant cela, Robert de Bournouville se précipita si avant dans la mêlée qu’il fut entouré, puis meurtri. Tristan, qui s’était jeté à son secours, heurta du pied son corps et vit tout proche Jean de Sénarpont, qu’il avait vu rire aux conseils champêtres de Guesclin. Ses bras battirent comme des ailes et il tomba mort, percé d’une sagette qui, pénétrant par la ventaille de son bassinet, ressortait par la nuque. « Où est Paindorge ? Matthieu ? » Comment le savoir ? On voyait devant soi des éclairs d’acier. Il fallait les parer, les rejeter tant bien que mal à coups d’épée, hurler, visière déclose, reprendre souffle, hurler encore et encore, mais point Guesclin, non : Notre-Dame.
Encore deux : Pierre de l’Épine et Guillaume Tranchant. Dérision du nom : c’était d’un taillant d’épée que Guillaume mourait.
– A moi, Bertrand ! cria un homme.
– J’arrive, Mareuil, j’arrive !
« Le Bascot de Mareuil ! »
C’était une espèce d’Hercule. D’une main nue, il élevait bien haut le pennon du captal ; de l’autre il brandissait une épée longue et fine. On le disait d’une habileté diabolique et d’une hardiesse sans égale.
Guesclin s’était retourné pour voir l’audacieux qui l’interpellait. Reconnaissant le Basque détesté, il fondit sur lui sa hache levée, grognant comme un lion prêt à bondir. Or, le comte d’Auxerre et le sire de Beaujeu surgirent. Frappèrent. Mareuil défaillit et chut lentement, le bassinet et la spallière éclaboussés de vermillon. Criant « Notre-Dame ! » Guesclin l’allait décapiter lorsque des Anglais accoururent et tirèrent Mareuil par les pieds.
La mêlée devint terrible. Le vicomte de Beaumont succomba sous le nombre. Le Bascot de Mareuil, sanglant, ressuscité, fendit d’une hache trouvée à terre la tête de Baudouin d’Annequin. Hugues de Châlon surgit et plongea sa lame entre la gorgière et la dossière du Basque. Cette fois, il parut qu’il tombait pour toujours (425) .
– C’est moi, Jouel ! hurla un Anglais en pénétrant dans la mêlée. Saint Georges ! Navarre ! Montre-toi, Guesclin, que je voie ta goule !
Deux épieux bretons lui percèrent les flancs. Il chancela et disparut. On le crut mort. Les écuyers qui l’avaient percé
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