La couronne et la tiare
se saignait à la dague, au hansart, au couteau. Certains Navarrais et Anglais étaient armés de vouges et d’épées. Dans les rangs du captal personne ne bougeait : l’on s’ébaudissait à voir tailler, pourfendre, occire du Breton.
– Vengez-les, mes gars ! cria Guesclin.
Une trentaine de Bretons fondirent sur les ennemis avec une ardeur qui laissait bien augurer de la prochaine bataille. Pen chés sur leur cheval et criant des blasphèmes, ils occirent une dizaine d’hommes, mirent les autres en fuite et ramenèrent, avec les fourrageurs qui avaient survécu à l’embûche, la plupart des chevaux que la peur avait éparpillés. Guesclin parut insouciant de leur retour dans les rangs. Quel qu’eût été leur courage, c’étaient des perdants. Il cria aux soudoyers :
– Bougez pas !
Et aux prud’hommes, plus bas, mais tout aussi formel :
– Il convient, messeigneurs, que nous restions impassibles.
Tristan soupira. Outre que la chaleur l’incommodait, il s’inquiétait de la quasi-léthargie de ses futurs adversaires et, faute de mieux, interrogeant les faits auxquels il avait assisté depuis qu’il s’était joint à l’armée de Guesclin, il se préoccupait moins de leur sanglant épilogue que de l’état d’excitation et d’anxiété dans lequel ils l’avaient mis. Ses compères et, au-delà, ses voisins emplumés comme pour un tournoi, semblaient livrés à une nervosité malsaine qui pouvait, en les préjudiciant eux-mêmes, devenir à tous funeste si l’un d’entre eux commettait l’erreur de se jeter en avant malgré l’injonction de Guesclin. C’eût été la répétition de la faute qui avait déshonoré la France lors des batailles qu’elle aurait dû gagner sans peine. L’interruption de la fausse retraite, la stupeur de l’ennemi, et maintenant cette attente contribueraient-elles, pour une fois, à une victoire aussi nette que l’avaient été les précédentes défaites ? Il le savait : leur esprit à tous, même celui de Guesclin, se nourrissait de choses impondérables : « Quand ? Comment ? Survivrai-je ? Serai-je navré ? De quelle façon ? » Le moindre mouvement d’homme, en face, amorçait une nouvelle menace, un copeau arraché à cet avenir incertain, inimaginable et pervers qui, bientôt, les engloutirait dans de grosses mailles de fer et d’acier. Quant à lui, Castelreng ces préparatifs auxquels le Breton présidait lui apparaissaient comme des dispositions sans précédent et sans exemple d’où toute émulation prématurée serait mortellement sanctionnée : les archers de Bretagne avaient armé leur arc, et Bertrand s’écriait, menaçant :
– Qu’aucun d’entre vous ne bouge, ni seigneur ni soudoyer.
« Et Thierry, en face ? Thierry méconnaissable ? »
Ils ne pouvaient agir à la façon de l’Archiprêtre. Se retirer en affirmant qu’ils s’appréciaient l’un l’autre avec autant de force que de sincérité eût été se condamner.
« Que se passe-t-il à Gratot ? »
Par saint Denis, messires voyez qui nous arrive !
Un chevalier anglais était sorti des rangs. Quand il fut à portée de voix, il secoua sa lance de haut en bas si fort que son cheval, effrayé, commit une bronchade.
– Holà ! Messires… Qui oserait courir une ou deux lances contre moi ?
Guesclin se détourna point trop et décida :
Roland, va lui montrer ce que nous savons faire.
Après qu’il eut coiffé un vieil heaume robé, sans doute, dans l’armerie de son père, on fournit une lance à Roland. Droit sur son cheval noir, il partit au petit trot et l’on eût dit ainsi une statue en marche.
– Roland du Bois est un parfait écuyer, dit Baudouin d’Annequin aux seigneurs qui l’entouraient. Mais pas du bois dont on fait les flûtes.
– Il n’a qu’un haubergeon de grosses mailles et un petit écu…
– Oui, messire Auxerre, mais il est si fort, si habile, qu’il pourrait être nu et vaincre ce falourdeur.
Déjà le damoiseau saluait son Anglais. Le silence succédait aux haros qui s’étaient échangés de l’un à l’autre camp, et les poings menaçants retombaient par centaines.
Quand les deux adversaires eurent pris leurs distances, l’Anglais talonna son coursier. Du Bois coucha sa lance et partit au galop.
La collision fut ce qu’elle devait être : terrible.
Roland du Bois revint vers les Français. L’Anglais gisait au sol : la lance de son vainqueur lui avait percé la poitrine. Trois
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