La couronne et la tiare
l’abandonnèrent. Tristan l’enjamba sans se soucier qu’il remuât ou non.
– Guesclin ! Guesclin ! cria un homme. Je suis Plantin. Où es-tu que je t’occise ! Tu pensais, ce matin, avoir affaire à des poules mouillées. Or, nous sommes là ! Viens si tu l’oses !
Je suis là et j’accours ! cria l’interpellé.
Il fut là, en effet. Sa hache tournoya. Plantin recula, éludant vainement de sa longue épée le croissant d’acier mortel. Il s’écroula entre deux ceps feuillus car l’affronterie se poursuivait à la lisière d’une vigne.
Une voix. A qui ? Une armure. Méconnaissable : épaulière tordue, cubitière arrachée.
– Les gens de monseigneur… de la… Ferté 158 et un Breton de la… compagnie d’O… d’Olivier de Mauny… se disputent… Jean… Jouel…
– Qui vient de tomber ? hurla Guesclin.
– J’en sais rien.
– Mollissons pas !… Où es-tu, Grailly ? T’es-tu allé foutre ta princesse ?
L’essentiel de la Chevalerie anglaise qui, jusque-là semblait avoir hésité à combattre, pénétra en force dans la mêlée. Le captal de Buch la conduisait, fournissant des coups d’épée énormes tout en hurlant : « Saint Georges ! » puis en proférant des menaces et des injures dans son patois. Tristan et des Gascons appartenant à Pommiers l’assaillirent. Ils furent repoussés. Des Bretons survinrent. Deux moururent d’avoir voulu abattre Grailly d’un coup de hache. Devant cet homme-là, on faisait de la place : il frayait à ses alliés anglais une voie large, sanglante, tellement redoutable et inattendue qu’il y eut un moment une espèce de trêve.
– Hé Dieu ! hurla Guesclin à ses gars. Laissez-moi passer. Ce captal m’aigrit le sang… Veuillez nous conforter, bonne Vierge Marie, et que le jeune roi, à son avènement, puisse avoir de bonnes nouvelles de nous.
La lugubre besogne recommença tandis que Guesclin se dirigeait vers le captal en manœuvrant sa hache d’une main avec autant d’aisance que s’il s’était agi d’un ustensile de cuisine.
– Il nous vient du secours ! cria un jeune Breton qui suivait Guesclin comme un chien son maître.
Cette annonce réjouit ceux de France. Puis les Anglo-Navarrais. Car ces gens annoncés comme des sauveurs n’étaient autres qu’une cohorte de Goddons que le captal avait tenue en réserve.
– Nous n’en sortirons pas vivants !
Tristan se parlait haut et fort à lui-même. Les guerriers de Grailly non seulement résistaient, mais ils commençaient à affermir leur domination.
Des cors et des trompettes sonnèrent sans qu’on sût qui les embouchait. Guesclin maniait toujours sa hache sans parvenir au captal. Olivier de Mauny et Paindorge suivaient. Les armes cliquetaient. On entendait parfois un « Han ! » accompagnant un coup. Un cri. Le « Non ! » d’un homme menacé. On commençait à respirer la mort à travers les trous des ventailles. Odeur de sang et de tripailles sur lesquelles, parfois, on glissait. On ne savait plus où étaient ses compères. On s’interrogeait : « Il est contre nous ou avec nous’.’ » On ne savait rien d’autre que ceci : il fallait se préserver pour vivre. Il fallait éloigner ces démons d’Anglais, de Navarrais et de Gascons.
– Bon Dieu ! hurla Guesclin. Où est Eustache ?
Va venir ! Va venir ! dit Olivier de Mauny. Il l’a juré (426) .
On s’entre-égorgeait. S’entre-assommait. S’entre-insultait. Tous les chevaux avaient disparu. Un hurle ment jaillit tel un brandon dans les ténèbres : « Le pennon du captal est pris ! » bientôt suivi d’un bruit de galopade.
– Houssaye et ses barbutes 159 ! cria Guesclin dont la voix s’enrouait.
A la lance, à l’épée, au fléau, à l’épieu, les centaures se jetèrent sur les gens du captal, perçant hauberts, haubergeons et dossières, cependant que devant, au cœur de la presse, on continuait à s’occire férocement.
Tristan maniait sa Floberge avec peine : elle commençait à peser, à lui glisser des mains. Ses poignets, sous les rebras 160 des gantelets, ainsi que ses coudes alourdis par les cubitières d’une armure pourtant seyante, devenaient des fardeaux, des gênes, presque des ennemis de sa sécurité. Avait-il meurtri des hommes ? Certes ! La plupart de ses assaillants étaient tombés après qu’il les eut chargés à la désespérade. Il accomplissait les mouvements indispensables à sa sauvegarde, percevant la
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