La couronne et la tiare
armure de fer pesait le triple de son poids. Ainsi, c’était fini. Vraiment ? Il n’osait trop y croire. Quelque chose s’était extirpé de son cœur, de son esprit. La haine ? Avait-il subi son joug ? Il ne le lui semblait pas.
Guesclin, droit sur sa selle, se pourléchait. Il s’approcha du captal et de ses compagnons.
– Votre épée, Grailly.
Comme le captal hésitait, Tristan le désarma et tendit sa lame au Breton :
– Tiens, Bertrand, tu l’as bien méritée. Guesclin prit l’arme et l’offrit à son pennoncier. Puis sa voix s’enroua de plaisir.
– Alignez-vous, messires. Ôtez vos bassinets.
Quand ce fut fait, le Breton mit pied à terre. L ’œil enflammé, la bouche dure, il questionna :
– Qui es-tu ?
– Pierre d’Aigremont 162 .
– Qui es-tu ?
– Baudouin de Bauloz.
Et toi ?
Jean Gansel.
Toi ?
– Lopez de Saint-Julien.
– Tu vas regretter l’Espagne ou Pampelune.
Deux pas. Un nouveau « Toi », et la réponse :
– Jacques Froissait, secrétaire du roi de Navarre.
– Ton nom me dit quelque chose. Quant à ton roi c’est une vipère, un malandrin et un couard.
Olivier de Mauny rejoignit son cousin :
– Guillaume de Gauville s’est rendu à Gui le Baveux 163 qui ne veut point le lâcher. Ils sont là-bas.
– C’est la première prise du Baveux… Je comprends qu’il reste auprès de son homme… et qu’il se taise !
Guesclin restait serein devant ces hommes qui ne l’eussent pas été sans doute, s’il était tombé en leur pouvoir. Tristan ne compatissait pas davantage. Pour la même raison. Chacun avait fait de son mieux, si l’on pouvait dire ! Il savait ce que c’était qu’être pris, épuisé, sanglant, humilié dans son honneur et dans sa chair. Guesclin qui connaissait certains de ces vaincus prenait un plaisir sournois à ce qu’ils se nommassent.
– Ah ! Messires ! Messires ! Que n’êtes-vous demeurés sur cette montagne !
Et légèrement tourné vers son cousin.
– Combien de morts chez nous ?
– Peut-être une centaine.
– Chez eux ?
– Quatre ou cinq fois plus.
– J’entrevois Robert Chesnel assis sur son cul… A qui s’est-il rendu ?
– A Gaudry de Ballore… Il y avait aussi l’Anglais Sercot. Il est parvenu à s’enfuir.
– Le vicomte de Beaumont ?
– Il est mort l’armure moult desroute. Plutôt que de crier : « Notre Dame. Guesclin » il criait : « Beaumont (428) ! »
– En voilà un auquel l’orgueil aura coûté cher.
– Baudouin d’Annequin est mort, lui aussi… Jean de Béthencourt vit encore mais il n’en a pas pour longtemps (429) . Regnault de Bournouville est mort…
*
Ils continuaient de marcher devant les vaincus. Cette fois sans les voir.
– Le seigneur de Villequier ?
– Un de nos premiers trépassés 164 .
– Joffroi de Roussillon s’est rendu à Amanieu de Pommiers.
Tristan se demanda si Paindorge et Matthieu ne s’étaient point fait occire vers la fin de la bataille. Il fallait qu’il les vît, debout ou étendus comme ces corps qu’il enjambait sans trop oser les regarder.
– Il a beau être avenant, je me défie de cet Amanieu, dit Guesclin à son cousin. D’ailleurs, je me défie aussi de tous les Gascons qui nous ont aidés ce jeudi. Ce sont des girouettes. Tantôt pour l’un, tantôt pour l’autre… Perducas, le soudic de la Trau, Mussidan.. Joffroi de Roussillon et Pommiers, c’est les mêmes fruits 165 !
On s’était arrêté. On repartit, enjambant toujours de corps dont certains remuaient, gémissaient sans qu’apparemment Guesclin et son parent fussent pris de compassion, même s’il s’agissait des leurs.
– Je suis heureux que Gaudry de Ballore ait pris Robert Chesnel. On dit ce Goddon très riche.
J’étais là, Bertrand, quand il a offert une fortune à Ballore (430) .
– Faudra qu’il nous en baille un peu.
Guesclin s’arrêta de nouveau et sourit :
– Ah ! Vous, Jean de Grailly, captal de Buch, vous vous êtes rendu au plus petit de mes écuyers : Roland Bodin. Moi, à votre place, j’en éprouverais quelque vergogne !
– Qui sait, Bertrand, si vous ne subirez pas ce sort là bientôt… Une défaite appelle une revanche.
– Jamais ! grogna le Breton (431) .
Le captal ne baissait pas les yeux. Il avait fait de son mieux mais ce n’était pas son jour. On l’eut pu croire en grand état d’ébriété tellement il chancelait. Or, s’il tenait
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