La couronne et la tiare
brèche dans le crâne.
– Un coup terrible, dit Tristan.
– De la façon dont je le vois, messires, dit Paindorge, il me paraît qu’il a été frappé par-derrière.
– C’est vrai. Goz n’est pas loin et ils se détestaient.
– A quoi bon, dit Tristan, toutes ces conjectures. Raymond est trépassé et j’en ai de la peine. Goz ne touchera pas à Luciane, mais Raymond n’est plus.
Il n’osait trop regarder le gisant. S’il l’avait osé, il eût clos son bassinet dont la ventaille, sous le heurt mortel, s’était relevée. Pour lui, ce trépassé vivait encore. Son immobilité se mouvait dans sa mémoire. Le sentiment du passage des jours se mêlait confusément à la douleur de savoir Luciane en danger. Il espérait que le pire n’était pas arrivé. Un écœurement le gagnait. Il mesurait la vanité de tant de haines et de combats, d’audaces et de lâchetés, de victoires et de défaites devant cet homme de fer dont il avait apprécié la courtoisie bourrue et le dévouement aux Argouges.
– Il faut l’ensépulturer. Matthieu, Robert, il y a là-bas une église. Mettez Raymond en travers de Carbo nelle et emportez-le… Prenez aussi son cheval. C’est, par Dieu, une part vivante de lui-même.
Des cordeliers erraient sur le terrain, donnant l’absolution aux mourants et exhortant la patience aux blessés dont certains ne hanteraient plus d’autre nuit que celle de leur sépulture.
– Matthieu, tu lui ôteras son armure.
– Conserve-la, dit Thierry.
Et se désintéressant des deux hommes :
– Je voudrais retrouver Taillefer. Crois-tu qu’il soit mort ? Peu de chevaux ont été occis. Je ne le vois pas parmi eux.
Il s’angoissait pour son destrier et ne songeait qu’à se lancer en avant pour délivrer sa nièce et Guillemette. Tristan modéra son courroux :
Tout doux… Sais-tu où ils les ont emmenées ?
Oui, au château Ganne.
Connais pas.
– C’est en Normandie, près d’Athis-de-l’Ome et l’un hameau du nom de Saint-Christophe, au lieu-dit de Pommeraye… Ces démons en parolaient parfois. Comme les sicaires de Sacquenville sont morts, je pense que leurs compères, qui sont à Ganne, n’en seront pas prévenus avant longtemps. Ils ne se méfient pas de ce qui les attend… Je les veux occire… Bon sang, la hâte me démange et j’aimerais revoir Taillefer vivant !
– Je conçois ta fureur parce que je l’éprouve… As-tu vu ? Paindorge est content de te revoir, mais il n’a pas su te le dire parce qu’il se demande ce que tu faisais contre nous. Il faudra le lui expliquer plus tard.
– Nous le ferons.
– Il admire Luciane. Sans oser me le dire, il me reproche d’avoir quitté Gratot mauvaisement.
– Y serais-tu resté sans cette querelle ? Épouserais-tu ma nièce si elle le souhaitait ?
– Il nous faut tout d’abord la sauver… Tiens, voilà Guesclin qui m’appelle… Sais-tu qu’avant toute chose, il me faut voir le roi ?
– Puisque tu me le dis… Où est le nouveau roi ?
– A Reims… ou sur le chemin qui y mène… Et il me faut le voir sans tarder. C’est seulement après que je puis songer à délivrer Luciane… Viens.
Guesclin se frottait les mains. Quelle victoire ! Il la savourait d’autant plus délicieusement qu’il avait dû quelquefois en douter.
– Le roi, disait-il à son cousin Olivier de Mauny, va célébrer cela en même temps que son sacre. Je ne connais point Reims, ni l’église cathédrale, mais j’en imagine la majesté !
Dans cette immense châsse de pierre, Cocherel et son triomphe, bien qu’invisibles, allaient avoir des lueurs d’ostensoir. Et lui, Guesclin, même absent, jouirait d’une vénération exceptionnelle, d’une renommée mystique.
– Holà ! Castelreng. J’envoie deux messages 168 à monseigneur Charles : Thibaut de la Rivière et Thomas l’Alemant. Puisque tu dois le voir aussi, mieux vaut te joindre à eux : le pays n’est pas sûr 169 .
C’est ce que je ferai volontiers.
Guesclin se retourna pour interpeller un homme : « Ho ! Messire l’Alemant. » Puis, tapant sur la cubitière de celui qu’il considérait comme son subalterne :
– Il prétend, Castelreng, que vous vous connaissez.
– Nous nous sommes entrevus à Vincennes…
L’Alemant s’était approché pour un salut bref et condescendant.
Tristan se dit que, s’ils étaient du même âge, leurs caractères devaient différer autant que l’hiver différait de
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