La couronne et la tiare
que je pense aussi.
Le regard de Tristan tomba sur cette main ensanglantée qu’il fallait soigner sans plus attendre : des mouches commençaient à s’en approcher.
– Je vais te confier Matthieu et Paindorge. Vous irez au château Ganne, mais en chemin, dans un boqueteau de Vernon, vous prendrez Tiercelet et mon blanc coursier, Alcazar, avec vous.
– Soit. Je n’abandonnerai pas le cheval de Raymond.
– Je vais galoper vers le roi avec l’Alemant et la Rivière. En deux jours, nous serons à Reims. Je ne sais combien j’en mettrai pour vous rejoindre aux abords du château Ganne… Tu m’as parlé d’un hameau dont j’ai retenu le nom : Saint-Christophe.
Souviens-toi aussi de Cosseffeville et La Pommeraye.
– Dès maintenant ces noms sont gravés dans ma tête… Mais je vous en supplie, ne tenter rien sans moi !
Je te le promets.
L’œil de Thierry s’était éclairé d’une flamme dont la vivacité plut à Tristan.
– Crois-moi, compère, nous délivrerons ces dames. Je me réconcilierai avec Luciane… Sois-en sûr !… Si son père se regimbe, liez-le à un arbre !
Cette fois Thierry se mit à sourire.
Allons, viens te faire soigner. Je veux partir rassuré.
A peine avaient-ils fait quelques pas que Quintric, un des coureurs de Guesclin, passa sur un cheval noir qui se défendait sous le mors en renâclant et en se traversant.
Taillefer, murmura Thierry. Où donc l’a-t-il trouvé ?
– Sale bête ! enrageait le Breton. Par saint Yves, quelle jument putassière t’a engendré ?… Avance !
– Il n’avancera pas, Quintric, dit Tristan alors que l’étalon se cabrait en hennissant de douleur et de rage.
– Et pourquoi ? Je vais lui faire goûter de l’éperon. Tu vas voir s’il va m’obéir !
– Je te le déconseille.
Et pourquoi ?
Quintric était jeune, orgueilleux comme son chef, dur comme le granit de son pays. Petit front, gros sourcils, bouche lippue ouverte sur des dents ébréchées. Une tête dont, sans la barbute, on eût pu faire une gar gouille. « Il tient de famille », songea Tristan. Sur le jaseran de mailles fleurissaient quelques coquelicots. Les gantelets, eux aussi, portaient des traces de sang. Et les heuses. Quintric semblait s’être réjoui de piétiner des morts et des mourants.
– Je dis non, insista Tristan, parce que ce cheval est mien. Lorsqu’il m’a reconnu, il n’a plus voulu avancer. C’est tout de même simple à comprendre… Abroche-le et je t’en fais autant… Elle est de bon acier et rien ne lui résiste.
Il avait tiré sa Floberge. Le sang dont la lame était maculée produisit son effet : Quintric mit pied à terre et s’éloigna, furieux. Thierry s’approcha du cheval, regarda ses flancs où du sang perlait.
– Ces Bretons sont immondes.
– Ce sergent d’armes est encore sous le coup des émois qu’il a connus dans la bataille… Il ne peut prétendre à aucune rançon. Ton cheval l’a tenté… C’est un petit miracle qu’il soit passé…
Thierry se mit à parler à Taillefer qui, cependant, resta sur ses nerfs. Il en toucha le chanfrein, la ganache, et d’un doigt en ôta la bave. Puis il tapota la cuisse haute et ferme qui frémit.
– Tu as survécu, mon compère… Tu as dû t’ ef frayer…
Thierry caressa l’encolure empoussiérée, cherchant à faire pénétrer sa confiance et sa sérénité à travers le crâne et la robe de Taillefer. Tristan, tout en les observant, se disait qu’il avait bien fait de confier Alcazar à Tiercelet. Il était heureux, pourtant, que Malaquin fût proche de lui, prêt à couvrir les premières lieues qui le séparaient de Reims, puis, au retour, celles qui le rapprocheraient de Luciane.
Thierry revint vers lui :
– Tout va mieux… Je n’ai qu’une peur : Luciane… Elle t’aimait. Elle est encore amourée de toi. Elle a du regret de ce qui s’est passé… Mon beau-frère aussi. Je puis te le jurer…
Luciane… soupira Tristan.
Il était parvenu à vider son cœur de cette présence, et voilà qu’en ce jour de sang et de deuil, la jouvencelle hardie et fragile le remplissait tout entier !
– J’ai du remords, avoua-t-il. Et Paindorge a eu plus de circonspection que moi. Un soir qu’il s’inquiétait pour vous tous, et particulièrement pour Luciane, je lui ai répondu qu’Ogier d’Argouges était suffisamment respecté des Navarrais pour qu’il n’eût pas à les craindre… Si tu savais, Thierry, comme je me
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