La couronne et la tiare
stupeur des gens de Gratot, leur indignation, leur frayeur.
– Je me doutais de l’hypocrisie de ces hommes d’armes. Les uns trop mielleux, l’autre, ce Goz, plus venimeux qu’un aspic… Mais que veux-tu : aurais-je mis ton beau-frère en garde qu’il se serait regimbé contre moi.
Thierry approuva de la tête.
– Sacquenville nous a donné le choix : le suivre en prévision de cette bataille ou mourir entre nos murs. Pour nous décider, il a pris Luciane et Guillemette comme garantes de notre accointance, promettant de nous les restituer après la victoire… Or, point de victoire. Les Navarrais qui les gardent vont se venger de leur déception. Nous avions redouté le pire : le viol de Luciane. Je le crains maintenant davantage… s’il n’est commis. Goz l’épiait depuis longtemps.
Tristan fut sur le point de se courroucer :
– Il ne fallait pas engager cet homme. J’ai compris, moi, qu’il avait des vues sur Luciane. Ton beau-frère est un…
A quoi bon dire un mot énorme. D’ailleurs, Guesclin s’approchait.
– Sacquenville est un de nos prisonniers. Veux-tu, Thierry, passer sur lui ton courroux ?
– Non. Il se voyait gagnant. Il est perdant… Qu’il paye pour sa défaite et pour ce qu’il nous a fait 166 !
Guesclin fut là, hilare, frottant ses grosses mains privées de gantelets.
– Ha ! Castelreng. On s’accorde avec l’ennemi !
Il fallait faire front sans colère :
– Ce chevalier de mes amis a été contraint par Sacquenville de s’accorder, lui, avec les Navarrais sous peine de voir occire sa famille et… ma fiancée…
– Ah !
– Je le veux.
– Prends-le. Tu m’as bien servi et je t’en sais bon gré… Je t’ai vu pendant la bataille. Dieu m’en est témoin !
Le Breton devait être sincère. Pour qu’il fût sorti indemne de la mêlée, c’était moins parce que Dieu veillait sur sa vie que parce qu’il avait l’œil partout.
– Je te laisse, mais ne t’en va pas… J’ai quelques commandements à donner. La bataille n’est pas finie. Je vais envoyer cent ou deux cents hommes à la ressuite de ces hutins… car il y a au moins trois cents fuyards 167 !
Il riait. Cette journée était certainement de celles où il montrait ses qualités de meneur d’hommes. Il venait de gagner à peu de frais une bataille qui, menée sans clairvoyance, eût coûté très cher à la France. Le nouveau roi sans doute en eût été marri.
Guesclin s’éloigna, entouré d’une douzaine de chevaliers et d’autant d’hommes d’armes. Il se hâtait. Tristan put enfin poser une des questions qui brûlaient ses lèvres :
– Où est Ogier d’Argouges ? Hâte-toi. Thierry : il faut qu’on te soigne !
Champartel eut un geste évasif :
– J’aimerais pouvoir te répondre… Alors que nous cheminions vers Cocherel il s’est jeté avec son cheval dans un fourré… Il avait bien pourpensé son coup : Sacquenville a lâché cinq hommes à sa ressuite. Ils ne l’ont pas rejoint… J’ai réprouvé – faussement – sa conduite.
Mais on t’a surveillé davantage.
– Évidemment.
Et Raymond ?
L’expression soucieuse de Champartel s’aggrava :
Il était avec moi… Je l’ai entrevu dans la mêlée. Il n’est pas revenu : je crains qu’il ne soit mort.
– Il l’est, dit Paindorge en s’approchant. Je viens de le voir. Un coup de hache sur le dessus du bassinet qui s’est fendu comme une vieille écorce… Les gars de Gratot : Goz, Nedelec et Carbonnel, sont morts aussi…
– Il nous faut voir Raymond et l’enterrer… Robert et Matthieu, vous vous en chargerez. Thierry et moi allons descendre vers le pont et demander à quelque femme de le soigner…
Il n’osait se pencher vers la main de Thierry.
– C’est de fort peu que tu n’aies eu les doigts coupés !
– Où est Raymond ?
– Là-bas, messire Champartel… Près de ce cheval qui semble avoir été le sien et qui, lui, est bien vivant…
– Pauvre compagnon ! Nous nous connaissions depuis plus de vingt années… Ah ! Je maudis ce Sacquenville et l’envie me démange d’aller l’occire !
Tristan retint Champartel par sa cubitière :
– Sacquenville est un mort en sursis. Le roi Charles le déteste… Son cousin, Yvain, m’est suspect… Mais ce serait trop long à te raconter… Le voilà.
Raymond gisait sur l’herbe rouge de son sang. La hache avait tranché le timbre du bassinet et ouvert jusqu’aux oreilles une
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