La couronne et la tiare
l’été. L’huissier d’armes de Charles V avait tout d’un homme curial : un visage de clerc, grave, rébarbatif des yeux noirs, soupçonneux, un sourire réduit à une espèce de cicatrice un peu rose dans une face ronde et glabre. Il s’était déjà délivré de son armure et arborait un pourpoint de brussequin (433) d’azur sur lequel figurait un lis, un seul, mais de belle taille, des chausses noires pourfilées de fils d’or et des heuses de daim sans éperons. Il portait à sa hanche une épée de passot.
– Une rude chevauchée, dit-il. Il paraîtrait que vous en serez, Castelreng ?
– J’en serai, évidemment, messire.
– Il nous faut partir sans détri (434) .
L’Alemant jeta un regard bref sur Champartel. Le mépris s’y teintait d’un soupçon de moquerie.
– Combien de lieues ?
L’Alemant se renfrogna. Il doutait de réussir cette prouesse : Cocherel-Reims en deux jours.
– J’ai compté, Castelreng. Environ soixante lieues.
– Croyez-vous possible de les accomplir ? Les chevaux…
– Je sais, Castelreng. Je connais les endroits où nous ferons halte en ne prenant que le temps de poser notre selle sur les chevaux de remplacement.
L’Alemant tapota l’escarcelle accrochée à ceinture :
– J’ai dans cette tasse 170 de quoi payer. Nous laisserons les bêtes hodées à nos vendeurs… Ne vous souciez de rien. Avant que je rejoigne Bertrand, monseigneur Charles s’était informé des lieux où nous pourvoir en bons coursiers. Nous irons à Pacy sur les meilleurs chevaux et nous en changerons. Sur des coursiers sains et véloces, nous courrons à Meulan… Changement. Oui, oui : je vous vois douter : Meulan. Les manants y sont désormais assagis et il y a, proche l’église, une grosse écurie où nous serons conjouis à bras ouvert Ensuite : Pontoise, Saint-Denis… Puis Meaux. Changement. Dix lieues. Puis Château-Thierry. Dix lieux. Changement toujours. Châtillon-sur-Marne, puis Épernay et enfin Reims. Nous chevaucherons sans trêve. Juste le temps de pisser et autre chose. Point de mangeaille. Nous dormirons le cul sur la selle.
– Tu vois, Castelreng, c’est tout simple.
Guesclin riait. Le regard de Tristan tomba sur ses mains. Du sang les maculait. Le manche de sa hache avait dû maintes fois glisser dans ses paumes.
Si je l’osais, je te dirais – car je sais que tu le connais ou que tout au moins tu l’as vu –, oui, je te dirais : « Après Reims, galope jusqu’en Avignon. Annonce la bonne nouvelle au Saint-Père. » Je suis certain qu’il aurait de bonnes pensées pour moi (435) .
« Voire », se dit Tristan que la navrure de Thierry, immobile et comme sourd, inquiétait.
Est-ce tout ?
Le visage de Guesclin se durcit tandis que l’Alemant tapotait l’escarcelle qu’il avait, effectivement, bien gonflée.
– Va ôter ton armure, Castelreng. Confie-la à tes compères. Ne conserve que ton épée : il te faut être léger comme messire l’Alemant et Thibaut de la Rivière – qui s’apprête – pour ne point hoder les chevaux.
– Figure-toi que j’y avais pensé.
– A Reims, assurez messire Charles de ma… de mon…
De ta dévotion.
Le mot était énorme. Guesclin acquiesça.
« Il veut me faire bisquer ! S’il savait que sa victoire, je me la mets au potron ! »
Mais peut-être s’en doutait-il.
– Trois de mes bons Bretons vous compagneront.
Le visage disgracieux s’enlaidit davantage. La voix tonnante graillonna :
– Alors, prépare-toi… Hâte-toi !
– Le temps de soigner mon ami.
– Certes !… Ah ! Quel touillis, quel grand froissis de lames !… Je viens d’apprendre qu’un banneret de Navarre, le sire de Saux, est mort… Navarre qui n’était pas là… L’Archiprêtre qui n’était pas là… Quel trigaud 171 , celui-là !… Oui, fais soigner ton ami. Par ma foi, il est plus pâle encore que le tronc d’un boul 172 de la forêt de Paimpont !
Guesclin s’éloigna, entraînant l’Alemant. Tristan prit Thierry par l’épaule :
– J’ai failli une fois à la mission dont m’avait chargé le nouveau roi. C’était en Avignon. Je ne puis faillir encore.
– Je te comprends.
– Ogier sait-il, lui aussi, où sa fille et Guillemette ont été conduites ?
– Oui.
– Seul il ne peut les délivrer. Il est d’ailleurs trop circonspect pour essayer.
– C’est vrai.
– Je suis certain qu’il vous attend, Raymond et toi.
– C’est ce
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