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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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entrer dans les cabarets les plus médiocres par scrupule ou crainte de s’en faire exclure au vu et su de tous : rançonnés, friponnés, maltraités et lobés 40 par la piétaille des routes, les tenanciers ne recevaient plus que leurs concitoyens. S’ils servaient les prud’hommes avec civilité – encore qu’ils fussent rares à hanter leur taverne –, c’était pour les abuser. Le vin coûtait cinq fois moins qu’à Paris. Sur les tables douteuses il valait dix fois plus.
    La cité tournait à son profit tout ce qui musait à portée de ses commerces et de ses femmes. Rares étaient les Villeneuvois chez lesquels Tristan percevait une hostilité, voire une haine. Il se sentait cependant surveillé, inclus dans l’extension d’une force sournoise et qui l’assoupissait inexorablement ; prêt à pénétrer malgré lui dans un cycle de violences sans fin. Des hommes qui jamais n’avaient porté une arme s’insinuaient dans ces processions profanes. Des espions peut-être. Mais à qui ? Et pourquoi ? Des évêques piétaient, bénisseurs d’ombres soudain agenouillées. Et des capelans (236) sur le parvis des églises désertes mais illuminées tendaient la main. Parfois, une charrette passait. On voyait dodiner des tonneaux, tressauter des victuailles. Il fallait nourrir le roi et ses vassaux, et l’on disait qu’ils gloutonnaient plus encore que les éminentissimes.
    Tristan marchait, regardait, approuvait ou désapprouvait les scènes entraperçues. L’air était froid, sec, impalpable ; les chairs étaient chaudes, douces, prenantes. Parfois, un cavalier trottait comme un fantôme. Des étincelles jaillissaient sous les sabots crépitants. Des femmes riaient : les hommes devenaient leur plaisir et leurs proies plus qu’elles n’étaient les leurs. Oui, c’était bien Capoue sur la berge du Rhône, et partout à l’entour les routiers s’éployaient.
    Elle sortit d’un porche obscur – celui de sa maison peut-être, grande, majestueuse dans le vaste manteau qu’il lui connaissait. Avant même qu’il eût vu son visage, il avait su que c’était elle à cause de l’odeur subtile, capiteuse, de ses cheveux et de son corps. Elle était fortunée : ces senteurs appartenaient à l’Orient et distillaient de la langueur et du mystère. Il éprouva en les humant une sensation de griserie légère mais persistante. D’un coup d’œil circulaire, il vit qu’ils étaient seuls, qu’elle souriait et qu’il était comme empêtré de gêne et d’espérance. L’espèce de mésaise qu’il avait éprouvée à lui parler le jour de son arrivée à Villeneuve renaissait avec plus de vigueur et de poids. Il avait soudain froid, sauf aux joues, et faisait son possible pour ne pas trembler. S’il avait pu reculer sans crainte de passer pour un béjaune, il l’eût fait – pour avancer, ensuite, de quelques pas.
    –  Eh bien, me prenez-vous pour un épouvantail ?
    – Non point, dame. Si vous étiez ainsi dans un champ de froment, il n’aurait plus d’épis en une matinée.
    – M’avez-vous cherchée ?
    – J’ai piété çà et là…
    Réponse astucieuse. Il s’en félicita. Il l’avait cherchée en craignant de la rencontrer.
    – Voilà, messire, qui m’honore.
    Elle riait du pouvoir qu’elle exerçait sur lui, bombait, dans la brèche de son manteau, des seins durs sous la nacre d’une robe d’yraigne.
    – Je vous ai vu passer hier, dans la soirée. Le temps que je descende et vous étiez parti… Mais vous voilà.
    Elle frottait ses mains comme une manante qui, au marché, se serait réjouie à l’issue d’une bonne affaire ou une pénitente qu’un confesseur indulgent eût absoute de quelques péchés aussi gros qu’irrémissibles. Ils restaient immobiles, visage contre visage – ou presque – et les vapeurs de leurs haleines se mêlaient. Ils ne savaient plus quoi se dire. C’était comme s’ils n’avaient pas parlé la même langue ou comme si, venant de très loin l’un et l’autre, l’émoi de se connaître ou de se reconnaître les eût privés de la mémoire des mots.
    – Vous me semblez une âme en peine. Êtes-vous marié ?
    –  Non.
    Elle parut rassurée. Mieux : satisfaite.
    –  Venez, chuchota-t-elle en lui prenant la main.
    Il la suivit, résigné, jusqu’au seuil d’où elle avait fait irruption dans la rue. Il aperçut, en retrait de la façade, une porte entre-close aux gonds des plus discrets. Son esprit devenait obéissant

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