La couronne et la tiare
pas mieux ainsi ?
– Voilà Boucicaut, messire. Il va passer le pont, lui, sans hésiter.
– Quelques lettres du roi pour le Saint-Père.
Le maréchal arrêta son cheval, un grand baucent noir de corps, aux jambes quasiment blanches. Il l’avait apprêté simplement pour ne pas susciter la moindre convoitise dans une cité dont on disait que les robeurs de toute espèce étaient aussi nombreux que les gens de robe. Il était, lui aussi, vêtu presque humblement : manteau de mouton, heuses de cuir sans éperons ; sous un chaperon noir sans cornette, son visage à la barbe blanche semblait mousser comme le dessus d’un hanap de cervoise. Comme toujours, il semblait un modèle de bonhomie, de force et de vigilance. Ses yeux larmoyaient au vent.
– Castelreng !… Je me demandais où vous étiez passé.
– J’attends, messire. Nous attendons tous. Parfois, je me demande si nous traverserons ce pont.
Demain, jour de sainte Catherine. Vous voyez, c’est bientôt. Le roi se plaît à Villeneuve.
Combien de jours y resterons-nous ?
Le maréchal eut un grand geste et une lippe d’ignorance :
– Il me paraît peu enclin à rentrer à Paris. Disons un mois, peut-être deux.
– Quand je vois toutes ces richesses, ces saintes richesses, je comprends que les routiers aient été tentés.
Je crains qu’ils ne le soient encore.
Jean le Meingre redressa sa taille et bomba sa poitrine. Ce n’était pas pour augmenter son importance mais pour se soulager, un temps, du fardeau de soucis dont il semblait chargé.
Où sont-ils, messire ? Avez-vous des nouvelles ?
Le maréchal mit pied à terre et fit signe à Paindorge de s’éloigner. L’écuyer s’en alla marcher le long du fleuve.
Les routiers reviendront. Ils sont même en chemin… De Carcassonne en Avignon, et au-delà, les bourgeois, manants et vilains ont approuvé ce traité de Clermont qui nous humiliait, nous, hommes de guerre, et maintenant hommes de guère ou de peu, si vous comprenez mon propos. On a assuré ces malandrins du pardon du roi de France et du Pape. Arnoul leur a donné des otages qui, comme ceux des Compagnies, seraient remis à la garde du Trastamare et il avait été convenu qu’avant le 8 septembre dernier, à une journée de marche de la frontière d’Espagne, on leur compte rait cent mille florins d’or, faute de quoi on restituerait les otages de part et d’autre…
– Et le traité serait nul.
– Oui… Sans savoir ce qu’il adviendrait de ces conventions, il y eut des processions et des liesses partout. Cinquante-trois mille florins ont été accordés en prime au Trastamare par les sénéchaussées de Langue d’Oc. Le 13 août, un nouveau traité a été conclu. Enrique doit emmener les compagnies en Espagne, y compris l’Archiprêtre et ses hommes. Il s’est engagé à servir le roi de France avec son frère Sanche et ses barons. Le roi, qui n’a pas un sou, leur a accordé dix mille livres de revenus pour eux, leurs femmes et leurs enfants ; mêmes dispositions pour Enrique, sa femme, son fils leur vie durant ! Si les Espagnols échouent dans leur conquête du trône de Castille, ils reviendront vivre en France.
– La France est hospitalière ! Les exilés qu’elle conjouit finiront par l’occire !
– Le saviez-vous ? Pour perfectionner le traité de paix, Audrehem s’est rendu subrepticement à Paris avec le Trastamare et deux chefs de compagnies : Garciot du Châtel et Garcia de Jussi. Ils ont exigé mille florins d’or pour les défrayer. C’est pour remplacer Arnoul que Tancarville avait été nommé lieutenant de toute la Langue d’Oc (233) , mais notre homme s’est regimbé : il veut ce pays pour lui seul, ce qui signifie…
– Qu’il y trouve son compte.
– Hélas !… Les deux routiers dont je vous parle sont revenus à Nîmes avant lui et le Trastamare… Ils ont, avec leur suite, pris logis à l’auberge des Deux Pommes et c’est là que le gros Arnoul leur rend visite… Il doit surveiller le départ des Compagnies.
– Sont-elles parties ? Vont-elles le faire ?
– Il y a eu des remuements (234) . Arnoul donne des coups et ouvre son escarcelle. Ses compères, le sénéchal de Beaucaire et Pierre Scatisse, trésorier de France, veulent de l’or, encore et encore. Ils sont insatiables… Ils ont frappé durement les villageois d’Anduze : trois cents florins d’or pour l’expulsion des Compagnies… Ils n’en ont demandé que cinq cents
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