La couronne et la tiare
Mahoms.
– J’irai en Terre Sainte !
Le roi oubliait les réalités de sa condition : il était un captif libéré sur parole.
– J’irai en Terre Sainte et, si je peux vivre seulement trois ans, je ferai en sorte qu’elle redevienne chrétienne.
Cet homme défait dans toutes ses batailles se reprenait à rêver d’un avenir grandiose, oubliant, sciemment ou non, que les Mores étaient plus nombreux que les Goddons qui toujours l’avaient vaincu sans employer, pour cela, des multitudes puissamment armées.
– Il nous faudra refouler les Sarrazins ! Il nous faudra repousser les Juifs !… Avec l’aide de Dieu et nos armes, ce sera chose vivement accomplie. J’irai avec vous, messires, pour deux raisons. La première est que mon père, Philippe VI, l’a jadis voué et promis. La seconde, pour tirer du royaume toutes manières de gens d’armes nommées Compagnies.
Ainsi, la Sainte Croisade serait faite, comme les précédentes, moins pour la gloire de la Chrétienté que pour l’assainissement du royaume. On irait jeter la terreur outre-mer pour ne plus la connaître dans ce qui subsistait de la France. De malsaines pensées souilleraient la piété. De nombreux malandrins avaient composé les armées des précédentes croisades. Leurs capitaines s’étaient érigés en suzerains, puis en satrapes. Les dissentiments et les rancunes les avaient opposés. Le beau royaume de Jérusalem avait fait les frais de discordes innombrables. Et l’on voulait recommencer selon les mêmes principes, avec des hommes semblables. Des yeux brillaient déjà sans que le bon vin en fut cause. Ces yeux-là semblaient caresser des butins extraordinaires. Ce ne serait pas Dieu qui veillerait sur ces hommes d’armes et leurs conduiseurs couronnés d’or et non d’épines, mais Satan, Bélial, Belzébuth !
– Cet homme vêtu de pourpre qui semble prêt à battre des mains, qui est-ce ? demanda un échanson en remplissant le gobelet de Tristan.
– Monseigneur Talleyrand, cardinal du Périgord.
– Il semble se pourlécher à la seule idée de cette croisade.
– Les prélats sont toujours en deçà des armées…
Jean d’Artois, Audrehem, Tancarville, Boucicaut et, dans un angle, le Grand Prieur de France, acquiesçaient à petits coups de tête et se voyaient déjà couverts de la cotte d’armes blanche à croix vermeille. Tous s’imaginaient aussi – quand et où, ils ne le savaient dans quelque grandiose chapelle, baisant la Sainte Croix que leur tendrait Urbain V. On prêcherait partout la croisade affirmait Jean le Bon ; on ferait confectionner sur les mailles, des safres à croix rouge ; on chanterait les vieux chants de Quesne de Béthune et de Caron des Croisilles. Une fièvre homilétique s’emparerait de tous les prêtres. Peut-être enverrait-on quelque ambassaderie en Angleterre afin qu’une vaste trêve s’instaurât et qu’à défaut d’amitié, une solide accointance réunît les anciens ennemis dans la haine du Mahomet et le mépris du Juif (262) .
– Si le roi, avec la permission d’Édouard, part en Terre Sainte, il sera marri de quitter Jeanne.
– Jamais elle ne sera sa femme, Castelreng, dit Guy d’Azai. Je sais de bonne source qu’elle se fait foutre par le roi de Majorque.
– Alors, dit Archiac, notre Jean perd son temps. Il rêve de l’enconner mais je me demande s’il y parviendrait. Au lit, on la dit pleine de malices. Qu’en penses-tu, Castelreng ?
Tristan surmonta sa gêne. Au lit, elle ne différait point d’une autre. C’était lorsqu’elle était rassasiée qu’elle se montrait dissemblable. Il regarda les convives. Leurs pourpoints et flotternels, les uns de coupe simple, les autres assortis d’ailes de houce (263) , de galons et de ganses étincelaient d’autant plus que çà et là, quelque bure en contrariait l’ordonnance. D’où provenaient ces joyaux ? Qui les avait portés avant ? Pouvait-on reprocher à ces hommes de les exposer sans vergogne alors que les évêques et les cardinaux en arboraient aussi ? Sous leurs dalmatiques, tuniques, camails rouges ou violets parfilés d’or et d’argent, ils avaient l’air de grands seigneurs. Leur anneau et leur croix pectorale alourdie de pierreries démentaient leurs façons benoîtes. Et de plus, ils buvaient dru et s’empiffraient. Aucun danger que ces pieuses personnes fussent comme Origène des eunuques volontaires.
… et certes, messeigneurs, l’attente de ces deux
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