La couronne et la tiare
jamais devenir grondement, le son montait, montait, se répandait dans le ciel en ondes lourdes et menaçantes. Il semblait que les tambourineurs voulussent attirer l’attention du Très-Haut sur les affrontements auxquels le Pape assisterait sans montrer trop d’intérêt sans doute aux estocades et taillants échangés par les adversaires. Urbain V sortait d’un couvent. Les jeux mortels qui se pratiquaient au-delà devaient le laisser indifférent. Il se pou vait même qu’il éprouvât du mépris pour ceux qu’ils subjuguaient.
– Si quelque chose vous manque, Castelreng, je serai sur le devant de l’échafaud : venez m’y trouver ou envoyez-moi votre écuyer.
Il y avait sur les traits d’Artois, maintenant, une expression de rigueur ou de distance qui troubla Tristan. « L’on dirait qu’il sait que je vais mourir ! » Il conserva, envers cet hypocrite, une réserve ostensible. Rien ne devait paraître de ses sentiments, que cet homme curial 68 eût pu interpréter comme la manifestation d’une peur, voire d’une angoisse. Il ne dépréciait ni ne grossissait ses bonnes chances de vaincre : il ferait de son mieux, comme toujours.
– Avez-vous vu ce Gozon ?
– Non.
– Je ne tiens pas à vous influencer mauvaisement, mais je l’ai vu, moi. Et ce que je peux vous en dire…
– Ne dites rien. Je l’aperçois… Il domine Archiac et Pommiers de la tête et des épaules.
Trois armures de fer scintillaient dans la foule. Et celle du milieu, même de loin, dominait les autres en hauteur et largeur.
– Holà ! Vous triboule-t-il déjà, que vous allez entrer sous votre tente ?
Cette fois, Jean d’Artois riait largement, montrant des dents brunes, mal plantées. Tristan se contenta d’un froncement de sourcils :
– Jamais encore, messire, quelqu’un ne m’a empeuré. Ce Gozon ne fera pas battre mon cœur plus vélocement que tous ceux qui, jusqu’à ce jour, me voulurent occire.
Disant cela, il souleva la portière du tref et s’enga gea sous le cône de drap neuf à la couleur du beauçant (276) ce qui lui parut de bon augure.
L’intérieur était vaste. On avait déposé sur le sol, près du mât central, une escabelle, un seau plein d’eau et au fond, un coffre long d’une toise destiné soit à recevoir les pièces d’une armure, soit un corps privé de vie. Retournant celui-ci sur le flanc, Tristan s’assit dessus, bâilla et maugréa contre le tambourinement sans cesse accru par l’approche des processionnaires. Ils avaient franchi le pont ; bientôt, le champ serait atteint : sitôt qu’elle l’aurait circonscrit, la foule se répandrait en cris et mouvements. Il semblait qu’on n’eut point songé à répartir de loin en loin quelques hommes d’armes pour modérer, voire réprimer ses excès.
Paindorge se méprit sur une expression maussade dont la persistance échappait à Tristan :
– Bah ! Messire, vous l’allez vaincre comme les autres.
– C’est moins à Gozon que je pense qu’à la gaupe à laquelle je dois ce combat.
Je me défie de la beauté quand elle est si froide… Vous gagnerez, messire, et la Jeanne s’enlaidira de déception et de courroux… Buvez !
L’écuyer venait de tirer du bissac une gourde emplie de grenache. Il l’offrait avec une componction due sans doute au fait qu’il s’était exprimé sans ambages. Tristan but quelques gorgées puis, les coudes sur les genoux, la tête entre ses paumes, il cessa de se défendre contre une vision cruelle, inopinée, aussi désespérante qu’injustifiée : il était étendu le dos contre le sol. Gozon le dominait de son ombre terrifiante. L’éclair d’une épée s’abattait…
– Je ne sortirai d’ici que pour affronter ce géant. Assister au combat d’Archiac et de Pommiers m’exciterait au détriment de la vigueur dont j’aurai tant besoin bientôt.
– Je vous donne raison.
Paindorge sortit. Tristan l’entendit rassurer Alcazar que les tambours inquiétaient, cependant que le public qui emplissait les abords du champ donnait libre cours à son plaisir et à son impatience.
Puis ce fut le silence. Le Saint-Père, sans doute, passait de sa chaise mouvante et surhaussée à sa chaire immobile, elle aussi surélevée. Le roi et Jeanne de Naples mettaient pied à terre et gravissaient les degrés d’un escalier rustique. Les édiles et le Clergé suivaient et s’asseyaient. La plupart souhaitaient sans doute que ces affrontements fussent brefs
Weitere Kostenlose Bücher