La couronne et la tiare
chauffaient son sang et gonflaient sa gorge et ses poumons à l’étroit sous son écorce de fer. « Bientôt, ce sera moi. » Certaines images de son combat contre Héliot, dans la nuit de Brignais, traversèrent son esprit comme autant d’éclairs particulièrement éblouissants. Dominé, il avait su se ressaisir ; malade de lassitude, il avait puisé en son tréfonds la vigueur, l’astuce et la volonté de vaincre. Gozon et la belle Jeanne – aux regards aussi vulnérants que des estocades – iraient de déception en déception. Si le solennel n’avait pas manqué à la bataille que se livraient Archiac et Pommiers, il souhaitait qu’il fût exclu de la sienne. Il pouvait imaginer l’intérêt que le roi portait à Archiac ; il imaginait aussi le regard ennuyé d’un Pape tiré de ses appartements pour complaire au roi de France et sans doute à la reine de Naples : ce que femme veut…
– Aucun n’a l’avantage… Archiac est plus vif, mais Pommiers prévoit ses intentions.
Tristan soupira. Et si rien n’allait selon ses souhaits ? Si sa vigilance s’épuisait ? Il bâilla encore et ses doutes s’abolirent, anéantis par la certitude vivace, impétueuse, qu’il était dans son bon droit. Tout au fond de son abjection pour Jeanne, un peu de clarté pétillait : une jouvencelle l’attendait à Gratot dont il pourrait faire son épouse. Pourquoi son avenir eut-il pu être détruit maintenant ? Il devait vivre aussi pour se recueillir, dans les gorges de Galamus, devant cette montjoie sous laquelle reposait Oriabel. Ensuite, il gagnerait Castelreng pour infliger à la maudite Aliénor la punition qu’elle méritait.
– Ah ! Messire… Pommiers vient de fournir un taillant magnifique. Archiac chancelle. Le sang coule sur sa cubitière… Mais le grand fumeux se courrouce !
Sous l’effet de la souffrance et de la vergogne, Archiac serait plus déterminé que jamais à vaincre, cependant que Pommiers devait penser : « Je l’ai ! » au lieu de : « Je vais l’avoir. » Et Gozon ? Regardait-il les deux hommes pour se pénétrer de leur ardeur et de leur courage ?
« Et moi, Tristan ? »
Il avait beau attribuer les frémissements de sa chair à cet état nerveux très particulier qui devançait chez lui les grands efforts, il ne parvenait plus à dissiper l’étrange et néfaste impression que son rival serait imbattable.
– C’est Archiac maintenant qui domine Pommiers !
Plutôt que d’atténuer les morsures de l’inquiétude, Paindorge les multipliait et les aggravait. Tristan tira sa Floberge du fourreau, la mania d’une main puis des deux. « Une bonne épée, un bon cheval, une bonne armure. » Il tiendrait fermement la lance qu’on lui offrirait après en avoir vérifié le bois pouce par pouce… Et puis… Et puis, merdaille, il serait fidèle à l’image qu’il se faisait de lui-même !
– Ils n’en peuvent mais… Ils se ventrouillent 70 et se frappent mollement… à coups de poing car leurs épées se sont brisées sur un taillant de Pommiers qu’Archiac a paré de sa lame à plat… Ils se bourrent de coups de gantelets… Il y a tant de laideur dans ce poignis que le roi s’est levé pour leur enjoindre de cesser…
– Ils cessent ?
– Oui, messire. Et le roi crie qu’il les accorde de leur note. Qu’il n’y a ni vainqueur ni vaincu.
– Comme sur le marché de Meaux.
– Oh ! Messire.
Cette fois, Paindorge entra dans la tente. Un puissant émoi le ravageait.
– Je viens de voir Gozon.
– Comment est-il ?
– Énorme… Une armure, ma foi, qui ressemble à la vôtre… Et son cheval ferrans (279) est à sa mesure.
– Il sera donc lent au galop.
– Je n’ai jamais vu Hugh Calveley, messire, mais l’on dit qu’il est une sorte d’Hercule. Eh bien, Gozon, qui doit mesurer une toise, me fait penser à ce Goddon.
– Il est donc un lourdaud.
Il fallait se rassurer. Ériger autour de soi une muraille de confiance. Se faire une idée terrible mais non terrifiante de ce géant et vaincre, maintenant, cette influence négative pour n’être point accablé en le voyant. Se donner en imagination le plaisir d’annihiler ses manœuvres meurtrières.
Il le vit et se trouva aussitôt dans un état de malaisance affreux, l’esprit vide, stupide, tandis que cessait l’ébullition de son sang.
– Merdaille ! dit-il en refermant la portière et en s’asseyant sur le coffre.
Les rumeurs de la foule lui
Weitere Kostenlose Bücher