La couronne et la tiare
semblèrent tout à coup lugubres. L’affrontement entre Pommiers et Archiac ne l’avait ni rassasiée ni satisfaite. Paindorge dit enfin :
– Vous l’avez entrevu.
– Oui, dit Tristan.
Sa curiosité momentanément satisfaite, il subissait désormais l’influence d’un isolement tout aussi délétère que la présence d’un adversaire non point à sa mesure mais démesuré. Il n’éprouvait aucune autre sensation que celle du poids sans faille de son armure et les seuls mouvements dont les trépidations se répercutaient dans sa chair tout entière, c’étaient les battements de son cœur dans la cloche formée par sa cuirasse et sa dossière. Il avait cru pouvoir dominer l’autre d’un regard ; il subissait sa fascination. Sa volonté déjà se trouvait épuisée.
– Ces grands bestiaux humains se déplacent lentement. Leur cervelle est étroite et leurs gestes sont mous… Et puis quoi, messire : Goliath a bien été occis par David !
L’écuyer, lui aussi, éprouvait sur l’issue de ce combat un sentiment nouveau où l’incertitude, maintenant, repoussait la créance d’une victoire aisée, superbe.
Tristan sortit enfin, provoquant un silence. Ignorant son rival, il s’approcha d’Alcazar.
– Mon bon, tu n’auras qu’un galop à fournir.
Le coursier secoua sa noble tête. Un court frémissement parcourut ses flancs. Il piocha la terre du bout de ses sabots de devant comme pour éprouver ses fers tandis que ses muscles irradiés d’un rêve interne, composé de galops et de pauses, jouaient sous sa robe immaculée. Dans son ample cage thoracique, un cœur hardi et généreux répandait ses pulsions jusqu’aux extrêmes de son encolure, jusqu’aux attaches de la longue queue qui, parfois, fouettait la croupe lumineuse. Cette activité secrète dans une immobilité qui ajoutait à la magnificence d’Alcazar semblait de si bon augure que, reprenant confiance, Tristan caressa l’ivoire précieux du chanfrein, le velours tiède des na seaux, la flèche dure d’une oreille. La lumière répandait sur la crinière soigneusement peignée une blondeur nacrée si singulière que la dextre nue qui bientôt serrerait et soutiendrait la lance de frêne s’y glissa et réchauffa.
Il faut que nous gagnions cette course ! Il faut que j’ébranle ce goguelu dont les plates doivent être aussi dures à trespercer que les os du crâne… Aide-moi !
Les grands yeux cillèrent. Un éclat fulgurant les traversa. Une sorte de lucidité parut hanter, ensorceler le cheval : il acquiesça par de vigoureux coups de tête tout en hennissant sourdement. Alors Tristan sourit et se rasséréna. Aux frénésies qui, derechef, s’emparaient de sa personne s’adjoindrait l’ardeur belliqueuse d’Alcazar. Fondus dans un élan commun, ils pouvaient, ils devaient renverser Gozon. L’oncle du champion de la belle Jeanne avait peut-être occis, à Rhodes, un dragon flammivome, le neveu aurait devant lui un homme décidé qui ne se prenait ni pour saint Georges ni pour un preux, mais savait tenir des armes !
– Regardez-le enfin, messire, ou il va croire qu’il vous effraie !
Tristan obéit.
Gozon ne différait de lui que par la taille. Son armure à la couleur d’eau était d’un travail simple, sauf le bassinet à visière bulbeuse que surmontait une touffe de plumes d’aigle. Des panthères en émail rouge (280) soulignaient sa gorgière et sous l’une de ses genouillères scintillait un janabelet (281) maintenu sur le fer par une cordelière.
– Il est grand.
Et pour se rassurer, Tristan se dit dans sa langue natale : « Noun së podou counoûissë de linën lous fennas é las ornés 71 » tandis que Paindorge continuait :
– Son cheval, messire, est à sa mesure… Un roncin dont le père serait un éléphant !… Et son houssement rouge ajoute…
– N’en dis pas davantage.
Paindorge obéit. Tristan regarda la flambe 72 étincelante suspendue au troussequin d’une selle profonde, constituée sans doute uniquement de fer revêtu de velours vermillon.
– Cet homme est Gondrebœuf, dit Paindorge. Son père devait avoir des couilles de taureau !
Tristan considéra la face à demi cachée de Gozon dans l’ombre de la ventaille relevée.
– D’après le teint de son visage, ce serait plutôt Caquedent 73 . Je hais les Mores, les Sarrasins, tous les démons de l’Arabie et de l’Égypte. Ils sont fourbes, fangeux, plus sauvages que des lions envers les
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