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La couronne et la tiare

La couronne et la tiare

Titel: La couronne et la tiare Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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cher, comprends-tu, du fait de la disette… Les boutiquiers font des réserves. L’eau-de-vie avec laquelle nous avons lavé tes plaies avant de les coudre nous a coûté un bon prix. Et encore : j’ai dû la quérir en Avignon chez un soi-disant compère… Ajoute à cela deux flassardes (296) pour que tu aies bien chaud…
    – Ne me fournis aucun détail… Je sais que vous avez fait de votre mieux.
    Tristan s’allongea sur le lit tout proche. Bien-être. Devant la cheminée crépitante et vermeille, Paindorge et Tiercelet se mirent à chuchoter. Clore les paupières. Soupirer d’aise. Résister aux visions dictées par la mémoire. Oublier Gozon et Jeanne de Naples. Oublier le roi et la Chevalerie. Oublier le palais du Saint-Père et les ruelles d’Avignon où il avait erré à la recherche de Tiercelet, coupe-gorge que le guet épurait à coups de vouge ou de guisarme, et cette foule composée, surtout, de races venues de la mer dans les flancs puants des navires. Si Tiercelet était réapparu une seconde fois, ce ne pouvait être que par la volonté du Très-Haut. C’était parce qu’il savait que le brèche-dent saurait redevenir utile. Ah ! Dormir… Recomposer ses forces. Qu’aucun mouvement ne fût douloureux. Cette pesanteur sur les paupières et cet engourdissement si doux après tant d’affres et de souffrances…
    *
    Le lundi 23 janvier, en fin de matinée, accompagné par Tiercelet qui pouvait le soutenir lors d’une défaillance ou le protéger si quelque danger le menaçait, Tristan erra dans Sauveterre sur laquelle, la veille, il avait neigé.
    Le soleil chauffait les toits. L’eau qui en ruisselait se fripait et babillait dans la rigole de la grand-rue pour s’assagir en grossissant des flaques brunes, pailletées d’azur et d’argent. Elle semblait nourrir en vigueur quelques gros arbres noirs sur les branches desquels se posaient des corbeaux.
    –  Quand ces gros oiseaux-là restent dans les cités, c’est que l’hiver sera pénible. S’il fait mauvais ici, ce doit être pire à Paris et à Gratot.
    Ainsi Paindorge avait parlé. Comment lui en vouloir ?
    – Dis-moi ce que Robert t’a rapporté.
    – Qu’une jouvencelle, Luciane, fille d’un chevalier de Normandie, est éprise de toi mais que tu n’en es point amouré.
    – C’est la vérité… Tu sais combien j’aimais Oriabel.
    – Son trépas te délivre de tes serments d’amour.
    – Il me hante !… Je ne puis me guérir de cette plaie de l’âme.
    Ils se regardèrent tandis que leurs pensées accomplissaient dans leur mémoire un cheminement différent. Sans qu’ils l’eussent voulu, ils retrouvaient Oriabel, sa blondeur, sa voix, son courage. Ne sachant comment rompre un silence pénible, Tristan resserra le col de son manteau. Ne rien dire. Attendre. Tiercelet le jugeait une fois de plus. Serait-il indulgent ? Le brèche-dent avait aimé la jouvencelle. Secrètement, passionnément, quoi qu’il se fut conduit toujours en frère aîné. Sans doute regrettait-il d’être passé par Castelreng et d’avoir provoqué son trépas.
    – Mieux vaudrait ne pas parler d’elle.
    – Oui, mieux vaudrait. Mais que tu le veuilles ou non, mon ami, elle ne cessera jamais de s’imposer à notre esprit, à notre cœur… Et je ne voudrais pas qu’un jour elle nous oppose… Vois-tu…
    Tristan reprit son souffle et, le sourire amer :
    – Je vais ostoier (297) … Non pas pour chercher la mort mais pour, si je survis, profiler de ma résurrection. Ma volonté va me conduire un jour à Gratot, mon devoir à Paris, la Providence où bon lui semblera que j’aille… Je ne veux plus m’opposer aux courants qui me pousseront çà et là.
    Tiercelet passa un doigt sur le dessus de son nez qui, à la suite d’un coup reçu dans quelque escarmouche, ressemblait à une nèfe (298) . Sa bouche se plissa dubitativement, et Tristan, le voyant hésiter à répondre, continua sur sa lancée :
    – J’ai besoin de toi. Le chemin sera long, infesté de routiers. Je suis insuffisamment guéri pour aider Paindorge dans notre défense si quelque herpaille (299) nous assaillait… Viens avec nous. Je t’en prie et t’en adjure !
    Tristan se sentait la tête vide tant il était soulagé. Les mots lui étaient venus aux lèvres avec une aisance et un poids qui ne surprenaient pas que lui-même : Tiercelet en paraissait confondu.
    – Je suis seul, dit-il, et disponible. J’aime bouger. J’aime aussi me servir

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