La couronne et la tiare
nettoyait son visage d’un reste d’inquiétude :
– Ton ardeur s’est éteinte et tes os sont fragiles.
– Résignez-vous, messire, dit Paindorge. Vous en avez au moins pour deux semaines encore.
Les plaies s’étaient refermées. Tristan ne souffrait plus. Sa maigreur et sa faiblesse le tourmentaient. Serait-il en état, bientôt, de tenir fermement sa Flober ge ? Une lance ? Un écu ? Manger, c’était recouvrer sa vigueur or, son estomac semblait avoir rétréci.
– Les chevaux ? demanda-l-il.
– Ils sont en bon état dans la pièce attenante. Nous avons pensé, messire, qu’Alcazar était trop voyant et que, si l’on vous cherchait, il pourrait vous trahir.
– Archiac et Pommiers ?
– Ils vont bien, à ce qu’il paraît.
Tristan ferma les yeux.
Le soir, il se sentit mieux et reprit place à table. Il mangea quelques bouchées d’un lièvre que Tiercelet avait colleté la veille et que Paindorge avait apprêté.
– Que s’est-il passé de toutes ces semaines ? Pouvez-vous me le dire ? Vous êtes-vous endittés (288) ?
Tristan traînait sur les mots. Il se sentait cependant plus lucide. Les lueurs du maigre feu de cheminée rosissaient les visages de Tiercelet et de Paindorge. Ils échangèrent un regard sur la signification duquel il ne conjectura que des événements funestes.
– Ce qu’on sait, messire, c’est que c’est le grand amour entre le Trastamare, son frère Sanche et le roi Jean. Audrehem est chargé de leur donner des terres et il a déjà fait ses choix.
– Des terres et des villages pas loin d’où nous sommes. Ils vont pouvoir fonder une petite Espagne en pays de langue d’oc (289) .
– Le roi est fou d’amputer ainsi son patrimoine… qui est nôtre également.
– Et si ce n’était que cela, dit Tiercelet. Les routiers espagnols sont revenus.
– Aisément, messire, dit Paindorge en se levant pour aller touiller des lentilles dans un chaudron posé sur le devant de l’âtre. Le traité de Clermont stipulait qu’ils pouvaient revenir si la guerre éclatait entre Armagnac et Foix. Or, cette guerre a commencé le jour même où vous affrontiez Gozon. A Laurac, le comte de Foix a mis la main sur le comté d’Armagnac (290) . Les Espagnols sont revenus dans les sénéchaussées de Beaucaire et de Carcassonne. On leur délègue des ambassades pour qu’ils s’en aillent (291) . Ils n’en font rien.
– Audrehem ?
– Il envoie des ambaxaderies négocier avec ces malandrins. On dit qu’il ouvre en grand la tasse royale (292) .
Tristan bâilla :
– Je ne vois pas comment nous nous débarrasserons de cette engeance.
– Quand on admet et tolère trop de forains (293) sur son sol, ils finissent un jour par s’y développer pour y régner sans partage. La faiblesse envers eux précède la couardise, et plus on les absout d’être ce qu’ils sont, plus ils deviennent entreprenants au préjudice de ceux qui méritent le respect et l’attention. La France devrait être vierge de toute souillure. Le roi en fait une putain…
Paindorge disait vrai. Mais comment se prémunir contre ce danger d’une invasion sournoise, encouragée par la Couronne, et mieux encore : entretenue par les deniers publics ? Certes, il était question d’une croisade destinée, surtout, à éloigner la pestilence des Espagnols et des Compagnies. Leurs chefs n’accepte raient jamais de guerroyer contre une autre pestilence : les Sarrasins. La France leur plaisait. Ils y faisaient fortune… Les envoyer au-devant des armées de Pedro de Castille ? Peut-être passeraient-ils de son côté s’il se montrait plus généreux que le Trastamare (294) . Non, vraiment, ils se délectaient d’être les hôtes de la Langue d’Oc et du roi de France. Ils ne risquaient point leur vie à persécuter des manants et des colliberts sans armes ni vêtements de fer.
– Je vais aller dormir, dit Tristan.
Il frissonnait d’un froid intérieur qui n’était pas de bon augure, et pourtant, tout ce qu’il venait d’entendre lui avait chauffé désagréablement le sang.
– Quel temps fait-il ?
– Neige et glace, puis un soleil frileux. Le vent souffle la nuit et se tait la journée.
– Comment faites-vous pour la nourriture ?
– Paindorge puise dans ton escarcelle avec une modération louable… J’avais, il y a trois semaines, un gros de nèle (295) . Je l’ai employé avant que ton écuyer ne te soulage de quelques écus… Tout est
Weitere Kostenlose Bücher