La couronne et la tiare
avait été sa panacée. Elle en avait tiré des principes qui lui avaient permis d’adoucir son infortune. Désormais, ces argus contribuaient à l’exaltation de son orgueil et, il le pressentait, à la domination de sa charnalité. Nul doute qu’elle avait été menacée, qu’elle avait su aussi tenir les rênes à des ardeurs naturelles qui, dans l’exercice des armes, avaient trouvé un exutoire susceptible d’être un réconfort. Objet précieux, apparemment fragile dans une existence de guerres et de fêtes, elle avait manqué de soins maternels plus que de l’amour de ce père empêtré dans un incurable mal-être. L’angoissante durée de leur séparation, la promptitude de leurs retrouvailles avaient distendu puis rompu un lien qui, sans doute, ne se renouerait jamais. Tristan craignit soudain que la compassion qu’il éprouvait envers ces deux êtres et son constant souci d’en dissimuler les effets ne parvinssent à desservir, en les émoussant quelque peu, la sincérité des sentiments qu’il leur portait. D’ailleurs, le dilemme de toujours s’imposait à lui : soit un mariage avantageux pour le cœur, les sens et l’âme, soit le retour à une vie d’aventures dont il était las. Il n’irait pas à Castelreng. A quoi bon. Il avait, en outre, l’assurance que le Pape annulerait son précédent mariage – si ce n’était déjà fait.
– Guérissez. Alors, vous aurez ma réponse.
– La vôtre me laisse à penser qu’il faudra que je sois solide pour la supporter !
Il vit les yeux de Luciane s’embuer.
– Non, dit-il. Non !
Il se pencha. Ses lèvres touchèrent celles qu’on lui offrait, décloses, et qu’un souffle nouveau paraissait animer. Il le but et s’en vivifia, tremblant d’un contentement dont il avait perdu connaissance. Il sentit autour de son cou des bras vigoureux et tièdes, et qui tremblaient un peu ou d’audace ou d’émoi.
– Vous êtes…
Quelque chose flambait en lui : une sorte de céleste vertige. Quelque chose y renaissait : le goût d’aimer, le plaisir de se savoir aimé, la volupté de couronner une alliance irrévocable avant de la solenniser. C’était comme une nouvelle virginité de son âme qu’il contractait dans cette étreinte pure. Il recevait de Luciane tant de passion, d’adoration, qu’il s’en trouvait confon du. Oui, elle l’aimait ; elle lui vouait un culte. Le regard qu’elle posait sur lui eût été le même si elle l’avait porté sur des choses sacrées.
Elle eut un étrange sourire. La victoire y suppléait l’étonnement :
– Et vous croyez ne point m’aimer ? Vos lèvres ont dénoncé ce mensonge.
Comment pouvait-elle en juger ? Conservait-elle, au fond de sa mémoire, un souvenir qui l’incitait à une comparaison ?
Il la saisit aux épaules sans qu’elle eût fait un mouvement pour prévenir son geste. En fait, elle l’espérait. Elle le regardait bien en face, et, passé la lueur vive du ravissement, ses yeux toujours humides brillaient du doux éclat de cette fin de jour.
– Chut ! dit-elle en le repoussant.
Ogier d’Argouges et Thierry entrèrent.
– Père, accepterez-vous que j’épouse Tristan lorsque je serai guérie ?
– Tu lui dois ta liberté, je lui dois nos retrouvailles. Comment pourrais-je dire non ?
Quoique ambiguë, la réponse, immédiate, fleurait la bonne foi. Tristan se sentit pris au dépourvu. Or, s’il baissait la tête, il passerait pour un hypocrite et l’irréparable serait commis : Ogier d’Argouges s’en défierait Aussi regarda-t-il le seigneur de Gratot dans les yeux, sans quitter la main que Luciane avait plongée dans la sienne.
– Resterez-vous à Gratot ?
– Oui, messire, si cela vous agrée.
– Votre père…
– J’ai dû vous dire un jour en quel état il se trouvait : marié, père d’un enfant… Il me fut impossible de lui rendre visite. Nous pourrons l’aller voir, tous, quand l’envie nous en prendra.
Tristan se sentait pris au piège. Épouser Luciane, soit, mais après d’assez longues fiançailles. « Mathilde est morte. Tu peux donc te marier sans commettre un parjure ! D’ailleurs, tu as la certitude que le Pape doit, si ce n’est fait, annuler ce mariage ! » Il fallait sourire. Et tandis qu’Ogier d’Argouges se bornait à hocher la tête, Thierry ne s’en privait pas. La joie semblait chez lui quelque chose de neuf. Les sourdes brûlures de la mélancolie s’étaient momentanément
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