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La croix de perdition

La croix de perdition

Titel: La croix de perdition Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Andrea H. Japp
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collés de sang et déclara d'une voix altérée :
    – Fichtre, celui qui a fait cela a frappé de toute sa force. La boîte crânienne a été enfoncée par la violence du choc. On distingue nettement des esquilles plantées dans la matière blanche. La blessure est si étendue que je ne serais pas surpris qu'on l'ait frappée à plusieurs reprises.
    – Vous semblez évoquer un homme ? questionna l'abbesse.
    – C'est que, madame ma mère, je doute qu'une femme ait la force physique d'infliger de tels dégâts osseux, expliqua-t-il en se relevant. Même en admettant qu'un accès de fureur ait décuplé ses moyens, comment aurait-elle ensuite hissé le cadavre, alourdi du lustre, alors qu'il m'a fallu l'aide de deux femmes de belle stature afin de parvenir à le descendre ?
    Hermione de Gonvray jeta un regard à Plaisance, qui répondit par un imperceptible froncement de sourcils. Prenant pour la première fois la parole, l'ancienne apothicaire déclara de cette voix lente et grave qui rappela aussitôt son genre à Plaisance :
    – Ceci est si… incongru.
    – Incongru, ma sœur ? répéta le médecin.
    – On se donne la peine de pendre cette malheureuse par un pied, de la hisser telle une carcasse de bœuf, bref on s'efforce de l'humilier par-delà la mort, plutôt que d'abandonner son corps où il a chu. Néanmoins, on pince sa robe dans l'un de ses bas comme si l'on avait voulu éviter que son bas-ventre ne soit dénudé et exposé aux regards de ceux qui la découvriraient. Il y a là une marque de… comment dire…
    – Pudeur ou compassion, l'interrompit Mary de Baskerville en la considérant d'un regard surpris. Je me demandais si quelqu'un le remarquerait.
    – De surcroît, la flaque de sang m'étonne, poursuivit Hermione. Je comprendrais qu'elle se soit élargie en épousant la pente du sol, certes pas dans plusieurs directions opposées.
    – Tout juste, renchérit Mary de Baskerville en détaillant Hermione. On y distingue encore cinq axes, recouverts progressivement par le sang qui s'écoulait de la plaie.
    Le médecin s'agenouilla à nouveau et examina la tache, le visage blême. Mary poursuivit :
    – Autre chose, le… l'arrangement du corps ne vous intrigue-t-il pas ? Pourquoi pendu par un seul pied ? Il aurait été beaucoup plus aisé de lui lier les deux pieds joints et de passer la robe sous la corde afin de la maintenir.
    – C'est tout à fait exact, approuva monsieur de Villanova d'une voix de stentor qui résonna entre les pierres. Qu'en déduisez-vous, madame ma sœur ?
    – Connaissez-vous ce jeu de lames que l'on nomme le tarot 3  ?
    Le médecin hocha la tête en signe d'acquiescement.
    – Une des lames ressemble fort à ce que nous venons de découvrir : le pendu.
    – Le pendu ? demanda Barbe Masurier que la scène avait rendue muette jusque-là.
    – Il s'agit d'un des arcanes majeurs. Il symbolise beaucoup de choses, dont l'expiation, le payement des dettes, la libération d'un esclavage. Blanche… Pendue, tête vers le bas, dans un lieu saint. Ajoutez à cela les cinq axes de la nappe qui m'évoquent fort un pentacle que l'on aurait tracé avec son premier sang, ce qui prouve que le meurtrier est resté en compagnie de sa victime quelque temps. Enfin, détail écœurant s'il en est, considérez comment fut tracée la croix qu'elle porte au front. On voit nettement un dépôt plus épais où le doigt s'est appliqué en premier, puis son cheminement qui va s'amenuisant à mesure qu'il dessinait la branche.
    – Dieu du ciel, à l'envers. La croix est à l'envers, murmura Plaisance qui s'accrocha au bras de Barbe.
    – Des… forces ténébreuses auraient-elles été à l'œuvre ? bafouilla la cellérière. Ici ? Dans Notre-Dame ?
    – C'est une hypothèse que l'on ne peut exclure, rétorqua Mary dans un léger haussement d'épaules. Toutefois, j'en doute. Une « force ténébreuse », ainsi que vous la nommez, se serait-elle préoccupée de la pudeur d'une morte ? Laisser sa robe pendre en la dénudant aurait, au contraire, ajouté au blasphème.
    Surpris par l'intelligence de cette femme, qu'on lui avait vantée mais à laquelle il n'avait ajouté qu'une foi mitigée, Arnoldus de Villanova renchérit avec fougue :
    – Votre nouvelle apothicaire a raison, mesdames. J'opte moi aussi pour un assassin bien de ce monde. Je ne vois guère un démon tout droit sorti de l'enfer utiliser un fer à repasser comme arme. Mais cette lame du tarot ? Le

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