La danse du loup
routiers qui sévissent sur vos chemins n’attendent qu’une occasion pour s’emparer du moindre écu au péril de la vie d’autrui.
« Mais soyez rassurés, messires, pour différentes raisons dont je n’ai point à faire état. Vous serez accompagnés, tout au long de la route qui vous mènera du fort Saint-André au village de Beynac, par une escorte de gardes pontificaux et royaux. Ils répondront de votre sécurité. Et de la bonne fin de cette belle mission.
— Serez-vous de ce voyage, mon père ? lui demandai-je.
— Hélas, non. Je devrai reprendre ma charge au service des pauvres. Et veiller au bon usage qui sera fait de la généreuse offrande dont nous gratifie messire de Montfort. Fonction oblige. Elle pèse parfois bien lourdement sur mes frêles épaules », dit-il non sans humour, en bâillant discrètement et en nous souhaitant le bon soir.
Un discret sourire plissa la commissure de ses lèvres. Le chevalier ne fut pas dupe, mais il s’accoisa. Il attendrait sa revanche. Le moment venu. Il avait été tenu en échec mais n’était point mat, croyait-il alors.
Morphée me berçait dans ses bras lorsque j’entendis la vigie hucher à gueule bec : « Panico generale ! Panico generale ! Trirème sur bâbord ! »
Arnaud et moi, réveillés en sursaut, basculâmes de nos châlits articulés, enfilâmes un surcot, chaussâmes nos heuses, bouclâmes notre ceinturon, saisîmes notre écu et nous précipitâmes sur le pont. Foulques de Montfort s’y tenait déjà, la main sur le pommeau de son épée :
« Une trirème fonce sur nous par bâbord avant, nous informa-t-il, impavide. Impossible de distinguer son pavillon pour l’instant. Le mestre-capitaine redoute une attaque des pirates barbaresques. Il a ordonné de prendre le branle. Attendons ses ordres et préparons-nous à repousser un abordage. Cette trirème est terriblement rapide et surgit de nulle part. »
Arnaud et moi écarquillions les yeux. Pour ma part, je ne distinguai qu’un vague reflet dans le soleil levant.
« Des pirates ? Nous allons les tailler en pièces ! s’écria Arnaud en desforant son épée d’une main, l’autre plaquée sur le fourreau.
— Que Dieu vous entende, messire Arnaud ! Les pirates, lorsqu’ils prennent un navire marchand, ne font point de quartier, m’a-t-on dit. La mort au mieux ! La captivité au pire : leurs rameurs sont certainement des chrétiens capturés et réduits à l’esclavage ! Mais on ne survit guère longtemps à bord de ces drômons. » Le visage d’Arnaud se rembrunit.
L’homme de barre s’inquiéta vivement. Il en fut de même du mestre de manœuvre qui s’adressa au mestre-capitaine en ces termes, d’une voix aux accents de désespoir :
« Cap’taine, par ce temps de curé, nous sommes encalminés ! Le navire n’est pas manœuvrant ! Nous ne filons pas un demi-nœud !
— Per Neptuna , je le vois bien ! Arbalétriers, sur le panier de hune ! commanda le mestre-capitaine. Armez la bouche à feu sur bâbord arrière !
« Vous, messire de Montfort, tenez-vous sur le château de proue avec vos écuyers ! Parés à repousser l’abordage de ces mécréants !
— Sur le château de proue ? C’est pure folie ! Les pirates vont investir le sabord à dix contre un. Sans arc ni flèche, nous serons impuissants à les repousser ! Nous allons nous faire tirer comme des lapins ! Il faut remparer les lisses ! » se lamenta le chevalier de Montfort.
La trirème glissait sur la mer, dans le soleil levant. On entendait maintenant le martèlement du tambour qui imposait leur allure de nage. La galée barbaresque fendait la surface de l’eau, droit sur nous, par bâbord avant.
« Arbalétriers parés à tirer, cap’taine ! Bouche à feu en position sur le gaillard d’arrière par bâbord ! ! !
— Préparez les grappins ! Distribuez à l’équipage les haches d’abordage !
— Protégez la bordée par des targes, mestre-capitaine ! Pour permettre à vos hommes de s’abriter si ceux d’en face décochent des flèches ! Pour l’amour du ciel ! Et préparez des seaux d’eau pour éteindre les feux ! » tenta de se faire entendre messire Foulques.
— Messire, mêlez-vous de ce qui vous regarde. Le maître, ici, c’est moi ! rugit le capitaine. Un rictus tordait sa bouche. Nous n’avons point de targes ! Ni d’ordres à recevoir d’un seigneur étranger !
— Nous serons seuls,
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