La danse du loup
n’avaient point besoin de nichet pour pondre ! » gémit-il, les mains sur les hanches.
Arnaud avait repris des couleurs. Pas encore de poids. Sans aucun doute eut-il préféré les doux gémissements de quelque bagasse égyptienne au jacassement des poules.
Débarquèrent ensuite d’énormes balles de laine d’Angleterre, de tissus des Flandres, des tapis d’Orient, des coffres garnis de fils d’Écosse et de soieries orientales. Puis des jarres d’épices, de poivre, de cannelle, de gingembre et d’un cumin qu’ils nommaient raz el hanout.
Tout ce qu’il fallait pour accommoder et relever les plats, pour composer des sirops et autres électuaires. Il s’en dégageait des senteurs très variées qui flattaient agréablement nos narines. Elles nous mettaient l’eau à la bouche. Il est vrai que l’horloge du soleil nous indiquait que sexte était passé.
Nous avions une fringale de loups. Bien que des loups, il ne devait pas y en avoir des meutes à Chypre.
Des vasques de graines d’écarlate, le kermès, cette étrange poudre composée de milliers d’insectes broyés, d’indigo au bleu profond, furent extraites des cales et déchargées à leur tour.
Suivirent des fagots d’un bois odorant, l’encens, que le mestre-capitaine laissait se consumer sur une braise chaude dans le carré, lorsque le temps le permettait et que les odeurs d’humidité et de suance devenaient par trop pénibles. C’est-à-dire trop souventes fois. Et l’encens brûlait trop rarement à mon goût.
Était donc mis à quai avant d’être acheminé vers les marchands par le comptoir génois de la place, tout ce qui était requis pour flatter les goûts d’une société raffinée dont nous ne connaissions rien encore.
Nous ne pouvions voir tout de ces splendeurs, mais le mestre-capitaine avait parfois évoqué les marchandises qu’il transportait, déchargeait, embarquait à chaque escale.
À cette occasion, il devait aussi remplir son coffre d’autant de besants d’or, de ducats ou de florins. Sans compter des lettres à changer, à remettre ou à recevoir lorsque la négociation se déroulait dans des comptoirs génois, pisans ou vénitiens. Des sommes considérables. Si je les comparais à notre maigre solde journalière d’écuyer, en sols et en deniers.
Belle organisation marchande. Belle science du commerce. Je découvris à ces occasions un monde qui m’était inconnu. Avec grande curiosité, bien que notre hôte fut moins disert sur ses opérations de finance. Mais n’avait-il jamais été loquace ?
Je regardai cette île du paradis sur terre avec bel émerveillement. Non sans avoir une pensée pour ma terre natale, saupoudrée d’une pincée d’amertume qui me serrait le cœur. Je ne pouvais oublier Isabeau de Guirande, ma gente fée aux alumelles, dont l’image me hantait.
Par Saint-Antoine, comme j’aurais aimé pouvoir lui faire partager toutes ces senteurs nouvelles, la douceur de ce climat, la beauté de ce paysage !
Au fond des siècles et des parfums d’Orient,
Sur la peau des livres aux couleurs de diamant,
Je revois ton visage comme on revoit son enfance,
Toi qui parles aux anges en toute innocence.
Dans l’écorce et la vieillesse des arbres,
Dans la pierre qui se souvient et la voix qui nous réclame,
Même enfouis dans le froid ou le marbre,
J’entends ton cœur qui bat, j’entends ton âme.
Le temps n’a pas de prise sur ton emprise,
Toi ma mémoire ancestrale, mon Graal.
Mes lèvres se brûlent à ton eau exquise,
Tu es cette lumière qui chasse le mal.
Chaque vie est un voyage où l’on se perd
Sur la longue route d’une incessante quête,
Ton étoile guide mes pas dans le désert,
Tu es la clef qui ouvre ces portes secrètes.
Il faut parfois tomber, connaître le doute, la solitude,
Et dans la sombre forêt de nos peurs, chercher le jour,
Goûter le manque amer pour retrouver la plénitude,
Tout perdre pour sentir à nouveau le souffle chaud de l’amour.
Je connais ces vallées où l’on marche sans feu ni lumière
La terre y est dure, froide, gelée comme en plein hiver.
Nos pieds ne rencontrent que racines tordues, cailloux et glace,
C’est ici le pays de la mort où les ombres s’enlacent.
J’ai vu ces paysages secs et mornes de mes propres yeux,
Car si l’espoir nous quitte, tout autour de nous devient noir.
Sans force, il faut marcher, marcher vers d’autres territoires,
Et le
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