La danse du loup
fontaines de jouvence ? »
Messire Arnaud n’en pensait rien. En tout cas, il fit semblant de s’en accommoder. À sa manière :
« Mon père, ne sauriez-vous pas où votre humble serviteur pourrait palper quelques pièces d’étoffe ? Toucher quelques objets d’orfèvrerie ? Négocier avec quelque marchand ?
— Nous découvrirons leurs échoppes ensemble lorsque nous serons rendus à Nicosie, messire Arnaud. Si vous acceptez ma compagnie ? Je souhaiterais moi-même offrir quelques présents à notre Saint-Père. Lorsque que nous serons rendus en Avignon.
Foulques de Montfort ne broncha pas ; il lui en coûtait déjà assez. Il n’avait point de cadeaux à offrir, dut-il penser.
« Comme je sens chez vous, messire Arnaud, une grande et belle passion pour les compains bâtisseurs, j’aurais grand plaisir à vous commenter personnellement une visite très privée de l’ensemble du palais pontifical ! »
Le père d’Aigrefeuille avait l’esprit fin et cultivé. Il ne manquait pas une occasion d’embufer mon ami et de lui geler le bec. Arnaud se remochina. Le chevalier de Montfort coupa court en proposant de prendre quelque collation.
Le surlendemain de notre arrivée en ce royaume, le roi Hugues, mis au courant par les habiles marchands génois, nous envoya des bêtes de bât, des mules, des chevaux et autres sommiers. Pour nous emmener jusqu’à Nicosie. Nous en fûmes, Arnaud et moi, fort émerveillés.
Sur le chemin qui nous y conduisit, nous ne manquâmes pas d’aller droit à la Sainte-Croix qui était, paraît-il en cette île, la croix où le bon larron fut crucifié à la droite de Notre-Seigneur Jésus-Christ.
Nous marchions sur les pas du Christ. Nous fûmes ensuite hébergés chez les frères mineurs de Nicosie où le père d’Aigrefeuille fut reçu en grande pompe.
Le roi Hugues nous fît porter des lits de son hôtel : des matelas de laine (ça nous changerait des paillasses instables et inconfortables sur lesquelles nous avions dû nous allonger plusieurs semaines durant), des tapis pour les disposer sur le sol et sur les murs de nos cellules et nous protéger d’un froid qui ne devait pas tarder à venir, nous dit le messager de notre aimable bienfaiteur.
Nous reçûmes aussi, en guise d’accueil, cent pièces de volailles, vingt moutons, deux bœufs, quatre outres pleines de bon vin de la commanderie hospitalière et grande abondance de pain blanc. Pour nous, pour les moines et pour le service des pauvres au bien-être desquels devaient veiller aussi les frères mineurs de notre abbaye, nous fit-on savoir.
Sur le coup, le père d’Aigrefeuille en fut tout ébahi. Il n’en croyait pas ses yeux. Ni ses oreilles. De telles victuailles ! Le roi de Chypre nous attendait en son palais pour l’Épiphanie. Le temps pour nous de nous présenter dignement en sa cour après un voyage aussi lointain…
On nous recommanda pieusement d’assister aux offices de la Nativité dans les églises de Stavro Vouni et de Tochni qui aurait recueilli les reliques de sainte Hélène.
Lorsque les préparatifs furent achevés, le père dominicain et messire Foulques manifestèrent quelques signes de nervosité. Sur l’heur, ni Arnaud ni moi ne comprîmes pourquoi. N’étaient ce pas là présents royaux ?
L’aumônier général de la Pignotte et le chevalier Foulques de Montfort n’avaient point tort. Ils étaient plus avertis qu’Arnaud et moi, des us et coutumes en ce royaume : qui apportait aide et assistance ne manquerait pas de recevoir quelques prébendes. L’un et l’autre savaient qu’ils devraient bourse délier. En offrant au roi de Chypre quelques présents royaux.
Comme un fait dû au hasard, quelques jours plus tard un écuyer vint nous informer des goûts du roi. À voir la tête que firent le père d’Aigrefeuille et notre maître, le chevalier de Montfort, ils devaient être fort dispendieux.
Arnaud et moi, nous échangeâmes un regard averti. Nous n’avions point eu à dépenser jusqu’alors. Il était vrai que nos bourses étaient plates.
Le jour de l’Épiphanie, nous fûmes tous les quatre présentés au roi Hugues et conviés au goûter qu’il donnait en sa cour. Nous revêtîmes nos surcots aux armes des barons de Beynac, en notre qualité d’écuyers.
Le père d’Aigrefeuille se présenta en grand habit de père dominicain, bâton à la main et chapeau de messager pontifical en chef. Le chevalier arborait quant à lui,
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