La danse du loup
Montfort refusa derechef. Arnaud se jeta sur la cuiller et avala sa soupe de pois chiches à grandes lampées bruyantes (il préférait en principe les soupes de fèves ; de toute façon, il n’aimait guère les soupes). Avant d’engloutir des filets entiers des superbes loups frais et grillés que le queux avait accompagnés d’une rustique sauce aigre-douce.
Arnaud tranchait déjà des morceaux de pain de seigle pour attaquer le fromage de brebis, au moment où nous terminions notre soupe. Avant de faire chabrol.
La soirée se termina sur ce chant que venait de m’inspirer le sacrifice des chevaliers perdus.
La lancinante terreur,
Bouleversante douleur
Qui brûle au fond du cœur
Et présage grand malheur.
À pied, au corps à corps,
Tête nue et toison d’or,
Notre chevalier tient bon,
Il se bat comme un lion.
Sous l’armure qui craque,
Siffle la flèche de l’arc.
Elle éclate la maille,
Perce le surcot brodé
Et dans sa chair ferraille
Près de l’artère tranchée.
Brave chevalier faiblit,
De son corps, il fait rempart
Plus rouge que muraille.
Il combat pour la survie,
Pour protéger le départ
Des gentils et des Chrétiens,
Simples fétus de paille
Que brisent les Sarrasins.
Il se vide de son sang
Mais il doit tenir le rang.
Chevalier presque mourant,
De sa vie veut faire don.
Il implore le pardon
Des croisés morts ou gisants.
Le trait mortel de l’archer,
Tiré à treize coudées,
Met à trépas son amour
Pour sa lointaine Mie,
Avant l’aurore, ce jour,
Lorsque son corps est occis.
Noble chevalier est mort,
Et le tout dernier baiser
Qu’il voulait lui destiner
Vient juste de s’envoler
Vers le ciel où il s’endort.
Mais son âme lui survit,
Douze mil chrétiens aussi.
Son courage nous saisit,
Son exemple nous réjouit,
Illuminant nos esprits
Bien au-delà de la vie,
Bien au-delà de la nuit.
Mes amis, priez pour lui.
Le Christ était redevenu le seul Roi de Jérusalem. Un Roi à la Croix de bois et à la Couronne d’épines.
Le lendemain matin, deux hurlades nous parvinrent, coup sur coup.
La vigie criait à gueule bec : « Terre en vue ! »
Le père Louis-Jean d’Aigrefeuille, aumônier général de la Pignotte, hurlait à oreilles étourdies, le visage décomposé, les bras levés au ciel en un geste de désespoir : « Jésus-Marie, ma boîte à messages a disparu ! »
Délivre, Seigneur, ton peuple des terreurs que lui inspire ta colère !
Messe « Pro vitanda mortalitate »
Chapitre 11
Sur l’île de Chypre, à Famagouste, Nicosie et Châtel-Rouge, entre l’hiver et le printemps de l’an de grâce MCCCXLVII {xiv} .
« Père d’Aigrefeuille ! Mon père, que vous arrive-t-il céans ?
— Messire Foulques ! Oh ! messire Foulques ! C’est épouvantable : ma boîte à messages a disparu !
— Votre boîte à messages a disparu, dites-vous ? Mais c’est terriblement fâcheux, mon père : ne contenait-elle pas le parchemin sans lequel le trésorier de la commanderie hospitalière refusera tout à trac de nous remettre les lettres à changer ? » s’exclama le chevalier de Montfort. Il prenait un mal plaisir à remuer le couteau dans la plaie. Sans paraître en être affecté pour autant.
« Si, messire. Si ! Ô mon Dieu ! L’Aumônerie des pauvres est ruinée.
— N’exagérez-vous pas un peu, père Louis-Jean ? Votre aumônerie gère des finances considérables. Alors quelques livres de plus ou de moins… Vos miséreux n’ont jamais manqué, nous avez-vous dit. Ne craignez-vous pas plutôt une comparution devant les auditeurs de la Rote ?
— Comment pouvez-vous me bailler de pareilles sornettes, messire Foulques ? Ne comprenez-vous donc pas que vous serez vous-même ruiné ? Tous comptes faits, vous n’avez point tort : vous aurez plus à y perdre que l’Aumônerie des pauvres. Sans parler de la colère du baron de Beynac !
— Nous pourrions toujours renouveler l’exploit de messire de Joinville et briser le trésor de l’Ordre !
— Vous perdez la raison, chevalier !
— Et vous la tête, père d’Aigrefeuille. Allons, allons, reprenez vos esprits, mon père. Et votre calme. Votre boîte à malices est en sûreté dans le coffre du mestre-capitaine. Avec ses carte di fortuna , ses cartes de navigation.
— Jésus-Marie, est-ce possible ?
— C’est non seulement possible, mais c’est
Weitere Kostenlose Bücher