La danse du loup
d’été se trouvait à près de sept lieues du palais royal de Nicosie. Nous convînmes de nous donner rencontre au palais avant de prendre ensemble le chemin de la forteresse de Saint-Hilarion, le page et moi.
Le soir même, le chevalier de Montfort m’informa avec dépit qu’il venait d’apprendre par le mestre-capitaine d’une nef marchande qui faisait escale dans le port de Limassol, que la Santa Rosa avait été victime d’une terrible tempête en mer de Crimée. Deux autres nefs naviguaient de conserve avec elle, la Santa Elisa et la Santa Lucia. Les trois navires s’étaient violemment abordés, causant moult avaries.
Ils ne seraient pas de retour à Chypre avant les feux de la Saint-Jean, après avoir franchi le détroit du Bosphore, au large de Constantinople, en mer Noire.
Leurs mestres-capitaines faisaient actuellement procéder à des réparations de fortune en le port de Constantinople, mais à leur arrivée ils devraient mettre les navires en cale sèche pour permettre aux maîtres charpentiers de procéder à des travaux de carénage. Les nefs ne pourraient donc probablement pas reprendre la mer avant le début des vendanges !
Lorsque je l’interrogeai sur l’éventuelle possibilité d’embarquer sur une autre nef, le chevalier me rappela qu’il avait baillé une forte somme pour assurer notre passage à bord et qu’il n’entendait pas armer une autre nef. Or donc, nous étions cloués sur l’île jusqu’à l’automne.
Après tout, nous pouvions profiter de la douceur du climat et aucune mie ni personne d’autre que le baron de Beynac ne nous attendaient en terre d’Aquitaine, me dit-il. Là, il se trompait en ce qui me concernait, mais je me gardais bien d’évoquer ma douce chimère, la fée inconnue de mon pays d’oc.
Quant à lui, je ne lui connaissais aucune compagne. Le chevalier de Montfort vivait comme un ascète. Il me sembla cependant fort contrarié par ce contretemps. Des raisons militaires, sans doute. Ou pécuniaires. Il devait avoir hâte de changer ses lettres pour se rédimer en bons écus d’or.
Je l’informai de l’invitation que la princesse Échive m’avait faitparvenir. Contrairement à toute attente, il me dit s’en réjouir. Il me pria toutefois de rester en grande vigilance. Il n’avait aucune envie de renouveler de sitôt son exploit lors d’une nouvelle ordalie. Et de jouter avec un autre chevalier de Sidon…
Je le rassurai sur mes intentions, on ne pouvait plus courtoises, et l’informait que le roi avait donné son accord. Il m’accorda quartier libre jusqu’à la fin de notre séjour. Arnaud assurerait pendant ce temps les menues corvées que son service exigerait. Sauf événement grave et imprévu. Je l’en remerciai vivement tout en l’assurant de mon dévouement.
L’imposante forteresse de Saint-Hilarion dressait ses mâchicoulis et son donjon sur la chaîne de montagnes du Kendadhaktylou. Elle surplombait l’anse de Kyrenia, un site splendide, un véritable paradis terrestre.
Un fort émeuvement me saisit la gorge lorsque je revis la princesse. Non que je fusse énamouré. La princesse Échive était d’une beauté brune, très levantine. Elle ressemblait plus à sa mère qu’à son père, sans en avoir la roide beauté. Mais son charme, sa douceur, son air altier et son léger accent du pays de Grèce me conquirent sur le champ.
Ses paroles étaient douces, ses yeux de jais savaient se montrer rieurs, ses gestes, délicats, ses sentiments agréablement discrets. Un parfum de jasmin et de roses sauvages flattait mes narines à chacun de ses mouvements et m’envoûtait plus sûrement que le vin de la commanderie hospitalière.
Je lui rendis des visites de plus en plus fréquentes et retournais de moins en moins souvent dans ma cellule monacale. La princesse avait fait mettre à ma disposition deux pages qui me servaient dans une chambre somptueuse située dans l’une des tours de la forteresse, à trente pas de son propre logis.
Le chevalier de Montfort déplorait seulement que je ne prisse plus le temps de disputer quelque partie d’échecs avec lui. Je lui suggérai d’initier Arnaud à ce jeu. Pour adoucir sa réclusion.
La princesse et moi parlions des heures ensemble. Parfois de sujets sans importance, parfois de sujets graves. Sans jamais évoquer, bien sûr, l’acte ignominieux dont elle avait été victime.
Nous apprîmes à nous connaître, à livrer notre cœur d’une
Weitere Kostenlose Bücher