La danse du loup
façon toujours courtoise. J’avoue ne jamais avoir tenté ni même envisagé un geste déplacé contre son gré.
Nous évoquâmes la guerre qui sévissait en Aquitaine. Elle se montra fort curieuse de ses origines, des combats qui s’y déroulaient, des misères qui en résultaient pour le peuple de France.
Je lui narrais la seule bataille à laquelle j’avais participé. Je lui vantais la fougue du chevalier de Montfort qui tranchait les Godons en rondelles lors de l’assaut anglais dans les faubourgs de la Madeleine, près la ville de Bergerac.
Nous récitions des poèmes. Elle m’en apprit de forts beaux. Je lui en appris d’autres que j’avais composés ou que j’avais retenus en écoutant les nombreux troubadours qui venaient souvent les chanter en pays d’oc et qui étaient toujours accueillis avec grand plaisir par le baron de Beynac.
Elle me posa moult questions sur mon maître, sur les chevaliers, les écuyers, les pages qui résidaient au château de Beynac (je ne les connaissais point, le baron ayant simplement évoqué son intention de les soudoyer après notre départ), sur les bonnes gens des villages du Pierregord. Sur le temps qu’il faisait en ces contrées, sur les us et coutumes locaux, sur notre façon de vivre en ces temps troublés par la folie des hommes.
Nos sujets préférés demeuraient les poèmes, la musique et les chansons courtoises. Il nous arrivait souvent de nous accompagner au luth dont elle m’enseigna les rudiments, ou à la vielle. Il nous arrivait aussi d’esquisser quelques pas de danse, gente carole ou estampie endiablée.
Un beau jour, nous fîmes étalage de nos connaissances en matière de poésie courtoise. Je découvris, fort surpris, qu’elle connaissait le roman du Chevalier de la Charrette, de Chrétien de Troyes. Et toutes les œuvres de ce trouvère. Elle m’en récita plusieurs versets de mémoire.
Je ne résistai pas à la tentation de lui décrire en quelles circonstances, à la suite de quelles aventures, le baron de Beynac l’avait porté à ma connaissance et m’avait encouragé à le lire. Elle fut très émue par mon récit. D’autres souvenirs récents voilèrent son regard et assombrirent son beau visage d’un voile passager.
Nous disputâmes de nombreuses parties d’échecs dans la splendide librairie du château. De superbes psautiers, moult grimoires, des romans, des recueils de poèmes et de nombreux traités d’alchimie s’empilaient sur des étagères. À côté desquels ceux de la librairie du château de Beynac me parurent alors bien ternes et bien chiches en enluminures.
Elle jouait parfaitement aux échecs. Elle m’apprit des débuts, des milieux et des fins de parties que j’ignorais mais qu’elle avait elle-même disputés ou auxquels elle avait assisté, consignant sur un recueil de parchemins reliés entre eux les déplacements des pièces, les erreurs commises, les traits de génie.
Elle était passée maîtresse en cet art. Mais je parvins à gagner peu à peu les parties que nous disputâmes. Sans qu’elle en montre la moindre contrariété. Bien au contraire, nous étudions les coups et discutions de la stratégie.
Elle m’initia aussi à certains jeux où nous avions dans la main plusieurs cartes aux figurines tantôt élégantes, tantôt grotesques, représentant des valets, des dames, des rois, de cœur, de carreau, de trèfle et de pique.
Lorsqu’elle fut complètement rétablie des sévices qu’elle avait subis, nous chevauchâmes pendant des heures par tous les temps. Il est vrai que le temps était très clément et la pluie, peu fréquente.
À l’approche de la Saint-Jean, nous fûmes informés que les deux écuyers qui l’avaient forcée avaient été convaincus de culpabilité par les jugeurs de la Haute Cour. Ils seraient empalés en place publique, le lendemain même. Nous étions conviés au supplice.
Elle refusa tout de gob d’y assister, ce que le roi comprit et accepta de bonne grâce. N’avait-elle pas déjà dû supporter la confrontation avec les inculpés devant les jugeurs de la Haute Cour lors du procès en sodomie qui s’était déroulé à huis clos quelques jours plus tôt ?
Le comportement d’Échive changea soudain. Ses yeux se durcirent, ses lèvres se pincèrent, son enjouement s’évanouit Elle souffrait dans son corps et dans son âme. En souvenir de ce qu’elle s’était vue infliger. Ou pour d’autres raisons que je n’osais espérer. Des raisons
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