La danse du loup
Nous y brûlâmes trois cierges chacun. Nous récitâmes ensemble, à voix basse, plusieurs prières pour rendre grâce de nous avoir soutenus et secourus lors de la terrible épreuve que nous venions de subir.
Ayant fait le signe de la Croix sur ma poitrine, j’allais quitter la chapelle lorsque je crus voir, à la lumière dansante des cierges, les lèvres de la statue de la Vierge Marie s’ouvrirent tandis qu’une voix lointaine prononçait ces paroles émouvantes. Seule ma conscience profonde pouvait me les avoir dictés pour avoir douté de Lui en ce sinistre jour du samedi saint :
Tu ne crois plus avoir le temps de L’aimer ?
Il prend le temps de te L’offrir.
Tu crois ne plus avoir le temps de Le pleurer ?
Il garde le temps de te sourire.
Tu crois ne plus avoir le temps de Le trouver ?
Il domine le temps pour te chercher.
Tu crois avoir le temps de Le suivre ?
Il n’a plus le temps de vivre.
Tu crois avoir le temps de Le supplier ?
Il n’a plus le temps d’écouter.
Tu crois avoir le temps de L’adorer ?
Il ne l’a plus. Ses jours sont comptés.
Tu crois que le temps t’échappe et fuit ?
Tu as tort. Il accuse ta propre lâcheté.
Tu crois pouvoir cheminer sans Lui ?
Tu as tort. Il ne t’a jamais abandonné.
Tu crois avoir le temps de Le renier ?
Tu as tort. Il n’a plus le temps de te pardonner.
Et pourtant, tu as raison, pauvre mortel,
Car Son amour pour toi est éternel.
À la fin du banquet, les joues un peu rosies par ce trop bon vin de la commanderie, je sollicitai du roi Hugues la permission de rendre une visite courtoise à la princesse Échive. Il m’en parut surpris, mais il envoya un page lui faire part de ma requête et me pria d’attendre sa réponse. Le page revint quelque temps plus tard. Il se pencha vers le roi et lui chuchota quelques mots dans le creux de l’oreille.
Le roi me fit savoir que la princesse me recevrait avec plaisir, mais pas avant quinzaine. Elle était encore très lasse et trop affaiblie pour m’accueillir plus tôt. Je ne pus que comprendre et compatir. Je remerciai le roi et le saluai. En le priant de lui transmettre mes vœux et mes intentions de prière pour son prompt rétablissement.
Le lendemain matin, une fine nappe de givre recouvrait le sol . Elle fondit dès les premiers rayons du soleil. L’air, si doux la veille, était devenu vif et sec.
Pendant la nuit, j’avais revu Isabeau de Guirande. De pied en cap, mais en songe. Était-ce un heureux présage ? Je ne devais pas tarder à être fixé.
Deux semaines plus tard, je me rendis dans le quartier marchand de Nicosie pour recevoir la commande que j’avais passée à un orfèvre.
Le couvercle de la petite boîte ciselée d’or et d’argent était magnifique et le travail qu’il avait effectué était d’une finesse exquise. Le couvercle, lisse et brillant à l’origine, était recouvert d’émaux sertis et cloisonnés aux armes d’Isabeau de Guirande. J’avais remercié avec chaleur l’orfèvre pour la qualité de la composition et lui avais baillé le solde qu’il me restait lui devoir.
Aurais-je jamais l’occasion d’offrir ce présent à ma gente fée aux alumelles ? Et si je m’étais trompé sur ses armes, sur les champs ? Et si mes recherches avaient été vouées à l’échec, dès le départ, pour cette simple raison ? Un songe n’est qu’un songe, après tout. Je devais bien en convenir s’il me restait un tant soit peu de raison. Mais mon cœur se révoltait à cette idée.
Perdu dans mes pensées et dans la contemplation du précieux objet, je ne vis pas un page s’approcher de moi :
« Messire Brachet de Born ?
— Oui ? dis-je en sursautant.
— Pardonnez-moi de troubler votre méditation. La princesse Échive m’a prié de vous faire savoir qu’elle était disposée à vous recevoir. Elle vous propose de la rejoindre demain matin, vers sexte, pour le dîner. Elle se repose actuellement en la résidence d’été du roi. J’aurais grand plaisir à vous y accompagner, messire. Si tel est toujours votre désir ? »
Le page avait un doux visage d’adolescent, un léger duvet sous le menton. Il arborait la livrée des serviteurs des rois de Chypre et de Jérusalem. Je le priai de porter mon salut respectueux à la princesse, de lui dire que j’avais accueilli son invitation avec joie et que je m’y rendrai avec grand plaisir.
La résidence
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