La danse du loup
pour la paillarder.
« Elle était bien un peu réticente au départ, mais le temps pressait. Je lui ai fait avaler quelque élixir de jouvence sans qu’elle ne s’en rende compte ; pour qu’elle s’abandonne plus rapidement sans me faire perdre un temps précieux.
« Elle s’en est trouvée plus détendue et plus avenante. Rassure-toi, elle était non seulement consentante, mais chaude et avenante, cette bagasse chypriote ! Ah, la fine garce ! Elle m’a épuisée !
— Arnaud, reste courtois, je te prie. Ne me conte pas tes fredaines avec les filles de cuisine. Un gentilhomme doit savoir garder ces choses-là secrètes et ne point faire étal de ses propres turpitudes. Même devant son meilleur ami. C’est contraire aux règles de la chevalerie.
— Tu me dis cela parce que tu n’as pas réussi à t’emmistoyer avec Échive. Tu as eu grand tort de ne pas en profiter. Elle avait pourtant de grosses mamelles. Après des mois passés en sa compagnie ! Moi, à ta place, je…
— Tu n’étais pas à ma place, Arnaud. »
Arnaud recommençait à me tabuster et à me porter sur les nerfs que j’avais derechef à fleur de peau. Pour lui geler le bec, je changeai de sujet de conversation et lui dis tout de gob :
« Ne t’es-tu pas souvent moqué de moi au sujet d’Isabeau de Guirande ?
— Ah non ! Bertrand, tu ne vas tout de même pas remettre cette chimère sur le plat ! Tu es capable de raison, que Diable ! Tu sais bien, si tu as encore quelque bon sens, que ce n’était qu’un rêve. Un rêve qui aurait pu tourner en cauchemar en nous éloignant l’un de l’autre.
— La chimère existe. En chair et en os.
— Décidément, tu as l’esprit plus dérangé que je ne le craignais, mon garçon !
— Je sais qui est Isabeau de Guirande. Je sais où elle vit. Elle séjourne depuis plusieurs années au château de Commarque. À quelques lieux de nous, à peine. À quelques pas de notre forteresse de Beynac, lâchai-je de plus en plus inconsidérément. Je me mordis aussitôt les lèvres de ne pas pas avoir su retenir ma langue. »
Arnaud s’arrêta de marcher et me regarda fixement. Il demeurait interdit, le visage décomposé. Je comprenais son émoi. Il avait tant douté de mon équilibre mental depuis plus de deux ans.
« C’est impossible ! Qui a osé te conter de pareilles sornettes ? Est-ce un nouveau fantasme de la Lusignan ?
— Non, je ne tiens pas l’existence d’Isabeau de Guirande de la princesse Échive. Et ce n’est pas un fantasme. Ni une nouvelle chimère. La personne qui m’en a parlé est digne de foi. Mais je ne puis révéler son nom. Elle m’a fait jurer le secret. Peux-tu comprendre mon silence ?
— En as-tu parlé à Montfort ? Ou à quelqu’un d’autre ?
— Non, bien sûr. À personne d’autre qu’à toi.
— Ne crains-tu pas, si cette… cette personne existe vraiment, qu’elle ne soit plus vile qu’un boudin ? Somme toute, tu ne l’as parée de moult qualités que dans ton rêve, dans tes fantasmes. Si ça se trouve, elle est biscornue, d’une laideur repoussante, les jambes arquées, boiteuse et possède un esprit plus revêche que celui d’un âne mal bâté !
— Elle m’a été décrite comme étant d’une grande beauté. Et de grande morale. Peu m’importe d’ailleurs. L’amour que je lui voue l’embellira et lui donnera un esprit plus fin et plus délié que le tien. Au fond, ne serait-ce pas plus facile et plus agréable quede t’instruire en l’éducation que ton père a tenté de te donner sans y parvenir, semble-t-il ?
— Tu es toujours aussi naïf, mon pauvre Bertrand ! Mon père a passé les pieds outre. Et si elle ne veut point d’époux ?
— Je n’en marierai point d’autre. Je resterai en célibat. Comme le chevalier de Montfort (il croyait son père défunt).
— Foulques ! Tu rêves encore, Bertrand. Ce n’est point un ermite. Je le soupçonne d’être bellement paillard. Quoi qu’il en soit, tu ferais bien de t’accoiser sur le sujet. On ne sait quelles pourraient être les réactions du baron de Beynac ou de Montfort si tu t’en ouvrais à eux…
–……
— Pour l’heure, gardons ce secret, me recommanda-t-il. Ce sera notre secret à tous deux. Que personne ne partagera.
— Je n’ai pas l’intention de le crier sur les toits. Enfin, pour l’instant…
— C’est inimaginable ! Alors, ta chimère existe vraiment ! C’est incroyable ! Tu as gagné.
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