La danse du loup
patienter un bon moment avant que la herse ne soit levée à moitié. Un sergent aux armes écartelées de France et de la bastide de Domme s’avança prudemment vers nous. Je lui tendis le document en ma possession. Il nous pria de démonter et de rester céans. Puis il disparut prendre les ordres.
« Messire Bertrand, j’en puis plus ! glapit René.
— Tiens bon, la délivrance approche !
— La délivrance, quelle délivrance ?
— Les commodités, niquedouille ! » lui répondis-je affectueusement, non sans malice.
La herse se leva à plein et nous franchîmes la porte au pas en tenant nos destriers par la bride. Dans la fente des deux archères latérales, entre la herse et l’assommoir, pointaient deux flèches. La place était bien gardée.
Sitôt parvenus à l’intérieur de la bastide, je priai le sergent de garde qui avait requis notre passage, de guider le malheureux René vers l’endroit où il pourrait soulager son ventre. René, les mains serrées sous le cul, se précipita vers le lieu-dit sous les quolibets humiliants de la garnison.
« Ils perdent rien pour attendre, les bougres ! » rugit-il. Il ne croyait pas si bien dire.
Après un rapide dîner composé d’une infâme bouillie et de quelques tranches de lard servies à la hâte dans la salle des gardes qui donnait sur la rue du Guet, nous dûmes remettre nos chevaux à un palefrenier et gagner à pied le logis qui nous fut affecté. En fait de logis, quelques bottes de paille fraîches nous attendaient en l’église Notre-Dame de l’Assomption dont le porche donnait sur une petite place, au nord-ouest, à mi-chemin entre la Grand’rue et la rue du Vieux moulin.
La garnison, nous avait-on expliqué, était en surnombre et aucun autre endroit n’était disponible. Faute de confort et de châlit douillé, la place était bien gardée et bien remparée, crut-on devoir nous consoler, en s’esbouffant. Ceux qui l’affirmèrent, ce soir-là, ne le dirent point deux fois.
René ne me quittait pas d’un pas. Toujours sur mes chausses, il me suivait comme un chien et me précédait plus souventes fois. Je me rendis tout d’abord à la maison des Consuls, en franchis la porte en arc brisé, ignorai les deux têtes grimaçantes qui les surplombaient, aperçus les merlons qui entouraient le clocher et demandai au premier clerc venu où je pouvais remettre un pli à une damoiselle Blanche.
Interloqué, il me répondit que des dames blanches, la bastide en comptait, hélas, moult, depuis la guerre. Elles portaient toutes la guimpe du veuvage. Je le saisis à la gorge, m’apazimai, relâchai ma pression sans abandonner ma proie et évoquais la fille d’un consul.
Réticent, dubitatif, les yeux fuyants, le clerc me déplut. Je resserrai mon étreinte autour de sa gorge. Au moment où j’envisageai de soulever sa robe de bure pour l’humilier et lui saisir les coillons, il lut la détermination dans mon regard, se priva d’une puissante empoignade et avoua connaître une dénommée Blanche.
Une sorte de bagasse, non-point fille d’un consul mais d’un savetier des environs, me répondit-il avec dédain. Une garce qui compensait son infirmité – elle était boiteuse – par un cul aussi large que généreux. Le malheureux, aux abois – je n’avais pas lâché sa gorge – confessa en avoir goûté. Il m’avoua que la drolasse n’était point coquefredouille. Elle savait lire et écrire et était employée aux archives du consulat. Des archives qui réunissaient des trésors en matière de science des blasons…
Cette fois, je comptai faire parler Blanche et plonger le nez dans ces codex. La fille du savetier me dirait, de gré ou de force, si Arnaud de la Vigerie, Foulques de Montfort, ou d’aucuns autres individus avait joui de ses faveurs, l’an passé, au Mont-de-Domme, entre none et vêpres, le jour où le chevalier Gilles de Sainte-Croix avait été assassiné.
La démarche était osée, pour ne pas dire vouée à l’échec si longtemps après ce funèbre évènement. Mais si je croyais en ma bonne étoile, je ne croyais guère à l’histoire du routier qui avait avoué le crime sous la torture avant d’être pendu jusqu’à ce que mort s’ensuive, au Bois des Dames. Je tenais à tout tenter pour lever les derniers doutes qui m’assaillaient.
Les codex me permettraient en outre d’étudier les armoiries d’Isabeau de Guirande et des indices me révéleraient bien la région où elle vivait, du
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