La danse du loup
moins l’espérais-je en mon innocence.
Aux Archives, on me déclara que la dénommée Blanche n’était point là. Elle ne serait de retour céans que le lendemain vers tierce. Cela me déconforta, mais nous disposions encore d’un jour avant de regagner la porte de Boines. Il fallait attendre.
Nous le fîmes en vidant, René et moi, quelques pintes de vin de Domme pendant le souper, avant de regagner l’église et de nous étendre tout habillés de fervêtus sur les bottes de paille qui nous servaient de châlits.
René, mon sergent d’armes, n’avait pas ouvert la bouche pendant le repas, si ce n’est pour avaler plusieurs godets de vin. Interrogé sur son humeur chagrine, l’homme m’avoua ressentir un profond malaise.
Je craignis une fièvre tierce ou un nouvel effet de la dissenterie. Il me rassura, me confirma s’être bien soulagé dans les commodités. Non, l’homme avait un sentiment indéfinissable qu’il fut incapable d’expliquer. L’homme était brave. Je ne m’inquiétai pas plus avant et pensai à la façon dont j’allais conduire mon interrogatoire, le lendemain matin, avec la fille du savetier.
J’eus grand tort. L’entretien n’aurait pas lieu. Et pour cause. Tout se passa entre matines et laudes.
Je dormais comme un loir lorsque, en pleine nuit, le tocsin martela l’air. Je me dressai séant sans réaliser où je me trouvais. Reprenant mes esprits, je constatai que René avait découché. Il ouvrit soudain la porte de l’église à la volée et, blèze, il bredouilla, le souffle court :
« Ils… ils sont là ! Ils sont là !
— Qui ça, « ils » ?
— Ils sont là ! Ils sont là ! répétait-il, hagard.
— René, calme-toi. Par Saint-Denis, qui est là ?
— Les loups, messire Bertrand ! Les loups godons !
— Les Godons ? Tu es fou !
— Ils… ils pillent, ils massacrent la garnison. Les archives sont en feu ! Vite, messire, vite ! De grâce ! me supplia-t-il. Suivez-moi incontinent ! Il y va d’not vie ! Les loups ont investi la place par centaines !
— Et nos chevaux ?
— Pas l’temps ! Si nous tardons, s’rons faits comme des rats ! Ils nous passeront au fil de l’épée ! Par la rue du Campréal, nous avons p’têt une chance d’leur échapper et d’gagner la citadelle ou l’château de Domme-Vieille. Pas sûr ! »
Le tocsin s’était tu, mais des flammes d’une hauteur gigantesque illuminaient le ciel du côté des Archives où nous nous étions rendus la veille. Une fumée âcre, rabattue par un léger vent du sud, brûlait nos poumons et piquait nos yeux.
Des cavaliers, glaives à la main, surgissaient déjà au galop en provenance de la place de la Rode, taillant tout sur leur passage. Des chats, des chiens, des femmes, des enfants et des hommes d’armes couraient en tous sens.
Malgré l’obscurité, je parvins à discerner à la lumière de leurs torches, les armes des cavaliers : écartelé aux léopards d’Angleterre et aux lys de France ! Par les cornes du Diable, René avait raison ! Les Anglais avaient profité de cette nuit sans lune pour enlever la bastide royale ! Dieu seul savait comment !
Nous refoulâmes précipitamment à l’ombre du parvis de l’église avant de nous élancer de l’autre côté de la place dès qu’ils eurent le dos tourné.
Le ceinturon passé sur une épaule, l’écu sur l’autre, nous courûmes aussi vite que possible vers l’ouest, empêtrés que nous étions dans nos hauberts.
Le tracé rectiligne des rues qui s’entrecroisaient perpendiculairement les unes aux autres était favorable à une charge de cavalerie. Qui aurait pu penser qu’il profiterait un jour à l’ennemi ! Nous courûmes comme des rats, tout en jetant de fréquents coups d’œil sur nos arrières.
Par miracle, nous parvînmes à l’entrée de la citadelle. À la lueur du brasier qui enflammait la bastide vers l’est, des archers ou des arbalétriers, en position de tir sur les créneaux, nous décochèrent une volée de flèches. Nous nous jetâmes au sol, à l’abri d’un petit talus. Une flèche se ficha dans la terre, à deux doigts de ma bouche. Je regardai René. Il n’avait pas été touché. Dans l’obscurité, je sentis plus que je ne vis son regard implorant : comment nous faire reconnaître des gardes de la citadelle de Campréal ?
Le pont-levis était relevé et défendu par une bretèche en surplomb. Un vaste fossé sec nous
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