La danse du loup
domaines seulement. Sur deux sujets de grande importance à mes yeux : les jeux d’un amour presque courtois… et l’art de gripper. Pour gripper le rocher et pour ramper dans un souterrain, la petite Marguerite pouvait en remontrer à plus d’un.
Pendant l’hiver qui s’était révélé doux et pluvieux, je ne l’avais aperçu que trop furtivement. Depuis qu’elle avait apporté un drap au baron de Beynac pour recouvrir le corps du malheureux forgeron des Mirandes, la veille du jour de l’Ascension de Notre-Seigneur Jésus-Christ, l’an dernier, je n’avais guère eu l’occasion de revoir la petite Marguerite. Nos chemins s’étaient certes croisés à deux ou trois reprises et nous avions échangé quelques farceries sans pouvoir jouir pour autant de quelques moments de délicieuse intimité.
À mon retour de la bataille d’Auberoche, le jour des vigiles de la Toussaint, le 31 octobre 1345, j’avais appris par Jeanne, la forte femme préposée à la gestion de la lingerie du château, que Marguerite s’était rendue au chevet de ses parents gravement malades. En fait, elle ne reprit ses travaux de lingerie qu’à son retour, vers le début du printemps.
Son père était tanneur à Calviac-en-Pierregord, petit village situé à l’est sur la rivière Dourdonne, à quatre lieues du château de Beynac. Après une longue maladie, ses parents avaient survécu mais elle craignait une rechute, me dit-elle un jour avec inquiétude. Durant son absence, le baron s’était montré généreux à son égard : il avait payé les soins que leur prodiguait un mire et continué à lui soudre sa modeste solde.
À sept jours des calendes d’avril, le jour l’Annonciation de Notre-Dame de mars, le 25 mars 1346, Marguerite et moi avions quartier libre.
Quel plaisir ! Le temps était beau et incroyablement chaud pour la reverdie. J’avais passé un simple surcot sur ma chainse de caslin, ceins mon épée et mon braquemart, roulé une magnifique pièce en peau de loup dont elle m’avait gratifié et sellé ma jument.
J’avais hissé Marguerite en croupe, son bissac en bandoulière, sous le regard amusé du baron de Beynac et les sifflets jaloux du corps qui était de garde à la porte de Boines.
Ma petite lingère avait dû en rajouter un peu, et je n’aurais pas été surpris de la voir agiter la main dans mon dos. Je me demandais si mon maître et seigneur ne voyait pas d’un bon œil tout ce qui pouvait me distraire du blason d’argent et de sable, écartelé en sautoir, le chef et la pointe partis…
Nous avions franchi le guichet au pas, avant de nous élancer au petit galop vers la vallée de la Beune, propice à mon apprentissage de l’escalade. La charmante petite chatte entourait ma taille de ses deux bras, avait joint ses mains sur mon ceinturon, la tête plaquée sur mon dos. Elle miaulait et poussait de petits cris de plaisir.
Les premiers bourgeons venaient d’éclore. Les charmes, les chênes blancs, les ormes se paraient de tons roses et vert tendre. Les taillis reprenaient vie et l’herbe commune poussait à vue d’œil. Seuls les noyers, plus tardifs, aux branches dénudées semblaient indifférents à l’arrivée du printemps. Des senteurs douces ou suaves nous chatouillaient agréablement les narines. Toute la nature fêtait sa renaissance. Les bruits de guerre étaient proches et fort lointains à la fois.
Une ou deux heures plus tard d’après l’inclinaison du soleil, nous étions parvenus dans une clairière à proximité du château de Commarque dont l’accès nous était formellement interdit par le baron de Beynac pour des raisons qui m’échappaient. Bien qu’il partageât cette seigneurie avec le sire de Commarque, le baron n’aurait-il pas été maître en ses demeures ?
Marguerite m’aida à desseller ma jument grise, à desserrer la têtière et la jugulaire, et entreprit de m’initier à une science qu’elle connaissait du bout des doigts de la main et des pieds, si je puis dire. Il est vrai que, dans cette vallée, les pechs étaient truffés de cavernes et les parois du roc n’étaient point trop lisses.
Dès sa plus tendre enfance, elle grippait les arbres. Un jour, elle s’était retrouvée sur le cul, la branche du cerisier sur lequel elle s’était juchée ayant brusquement cassé. Elle avait ressenti une forte douleur dans le bas du dos qui l’avait obligée à s’aliter pendant une semaine, m’avoua-t-elle, l’œil coquin.
Je
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