La danse du loup
cochon de Gallois ! Ne seriez-vous point Gascon ?
— Je connais aussi le mot de passe. De grâce, dites-le au capitaine des gardes, il… »
En guise de réponse, j’entendis, par la fente de la meurtrière et malgré l’épaisseur des murailles, le garde rugir :
« À la garde ! À la garde ! »
Dans l’état qui était le mien, à la limite de mes forces, le corps ruisselant, je m’escumai de partout. De peur et de fatigue. Impossible même de faire le signe de la Croix, accroché ainsi au flanc de l’enceinte.
Je levai les yeux vers le haut des créneaux. Pris par la vertigine, je fermai les yeux, à la limite de renoncer. Mais entre l’idée de me laisser choir dans le vide ou de parcourir le chemin en sens inverse, tel un crampon je grippai la pierre de mes dernières forces, les ongles arrachés, les doigts en sang.
Une éternité s’écoula. À la limite de l’abandon, de la rupture, de la chute, une voix sourde me parvint par la fente de la meurtrière :
« Je suis le capitaine de la place ! On va tendre une lance ! Ne cherchez point à la saisir, sinon c’en est fait de vous ! Glissez votre sauf-conduit sur la pointe et attendez mes ordres ! »
Lorsque la pointe de la lance parut, je me collai à la paroi au point de ne plus former qu’un avec elle, tel un bossage, libérai avec moult précautions l’ordre de mission que j’avais glissé dans mes chausses et avançai prudemment la main qui tenait le rouleau de parchemin dans la direction indiquée. Tout en prenant garde de ne pas recevoir un coup de lance. Lance et sauf-conduit rentrèrent prudemment dans l’embase de l’archère.
Des crampes commençaient à paralyser mes bras et mes jambes. Je réussis à changer de prise et à détendre mes doigts et mes orteils, les uns après les autres, ainsi que me l’avait appris Marguerite.
Après un silence interminable où je n’entendais que les battements de mon cœur, la même voix me héla :
« Tout ça est bien beau, mais qui me prouve que vous n’avez point dérobé ce document au véritable Brachet ?
— Le mot de passe, capitaine, le mot de passe ! »
Nouveau conciliabule derrière les murs, puis :
« Dites-le haut et fort !
— “Si veut le roi, si veut la loi !” », hurlai-je en jouant mon dernier va-tout. Nouveau silence.
« Le mot de passe vient de changer ! Depuis quand êtes-vous en la bastide ?
— Depuis hier soir, capitaine, relisez les dates qui figurent sur mon sauf alant et venant ! Je ne puis connaître le nouveau mot de passe s’il a changé depuis !
— Savez-vous compter, messire ?
— Oui, bien sûr, capitaine !
— Comptez jusqu’à deux cents sans bouger, le temps que j’avertisse la garde. Puis gagnez le fossé. Nous ouvrirons la porte du guichet le temps de compter à nouveau jusqu’à cent ! Profitez-en ! Passé ce temps, j’ordonnerai aux archers de tirer. De tirer à vue. »
Je respirai enfin, repris goulûment mon souple et informai le capitaine qu’un sergent d’armes, dont le nom était cité sur l’ordre de mission, René, le fils du Passeur, m’escortait.
« Comptez jusqu’à deux cents. Puis jusqu’à cent ! Nous allons voir si votre sergent est aussi habile à la course que vous l’êtes à la grimpette ! Comment diable avez-vous fait ? » Je perçus des éclats de rire. Moi, je ne ris point.
Je réussis à descendre directement dans le fossé et à rejoindre René, sans craindre une flèche ou un carreau d’arbalète entre les omoplates. Lorsque nous eûmes franchi au pas de charge la passerelle et la herse qui fermaient le guichet de la citadelle, nous fûmes accueillis aux cris de « Montjoie ! Saint-Denis ! Vive messire Brachet, vive René le Passeur ! » par le capitaine d’armes et un corps qui était de garde dans la cour.
René, haletant, les yeux écarquillés à la lumière des torchères, s’effondra sur le sol dallé, dans un bruit infernal de casques, de fourreaux et de boucliers entrechoqués.
Mon haubert glissa à terre, comme une couleuvre, suivi par mon surcot aux armes des barons de Beynac qui le recouvrit comme un linceul sur la poitrine de pierre d’un gisant. Les couleurs, burelé d’or et de gueules de dix pièces, en plus !
Le maître de Campréal, Thibaut de Melun, était le petit-fils du sénéchal Simon de Melun qui avait acquis cette partie de l’éperon rocheux en l’an de grâce 1281. Philippe le Hardi, troisième du nom,
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