La danse du loup
te veux ! Ne le sens-tu pas ?
— Bertrand, je vous désire aussi plus que tout au monde. Mais tant de choses nous séparent : ma naissance, votre noblesse, les coutumes ! Vous savez qu’un écuyer ne peut marier une pauvresse comme moi ! Nos enfants ne seraient point reconnus !
— Peu me chaut ! hurlai-je, aussi rouge qu’une écrevisse bien brouillie. Tu seras mienne !
— Bertrand, écoutez ma supplique, je vous aime tellement ! balbutia-t-elle en relâchant la pression qu’elle exerçait sur ma main. Mais vous ne pouvez briser devant Dieu le vœu sacré que j’ai prononcé au chevet d’un mourant !
— Devant Dieu, non ! Mais, par Saint-Thomas, je n’en ai cure ! Et ton père est revenu des fièvres ! Le vœu que tu lui fis ne te lie plus ! tentai-je vainement, sans y croire. Et ce Jacques le Croquant, comment est-il ? Plus grand, plus fort que moi ?
— Il est laid et boiteux ! m’avoua-t-elle en éclatant d’un rire nerveux. Je ne l’aime point !
— Dans ce cas, je vais te forcer, lui répondis-je tout de gob en abaissant mes chausses, et user de mon droit de cuissage !
— Ce droit est réservé au seigneur. Tout au pire, notre maître pourrait-il souhaiter l’exercer. Mais ce triste privilège est tombé en désuétude, il y a plus d’un siècle ! Et vous le savez parfaitement !
— Qu’à cela ne tienne, je veux te connaître charnellement !
— Non ! Bertrand, non ! Contrairement à ce que vous pouvez penser, je suis pucelle et entends le rester jusqu’aux noces. Rendue à votre merci, je vous implore de ne point me forcer ! J’ai aussi envie que vous de m’emmistoyer. Vous le savez. Ne me décevez pas. Vous êtes grand et fier chevalier ! tenta la gentille Marguerite.
— Chevalier ? Que nenni ! Un simple écuyer servile ! m’esclaffai-je. Tu m’emburlucoques avec toutes ces simagrées.
— Non, mon amour, vous êtes généreux, franc, et votre âme est pure. Ne faites point ce que vous regretteriez votre vie durant ! Par pitié !
— Mais, Marguerite, je t’aime aussi ! répondis-je, déconforté.
— Vous croyez m’aimer. Vous avez envie de me posséder charnellement sans éprouver d’amour. C’est différent ! Lorsque vous aurez pénétré mes chairs, vous oublierez mon cœur pour mignarder d’autres filles plus belles et plus nobles que moi ! Et vous le savez ! sanglota-t-elle.
— Non, Marguerite, sur ma Foi, je t’aime, je t’aime autant qu’Isab… »
Trop tard ! Je n’avais pu retenir ces paroles douloureuses. Le charme était rompu. Marguerite avait raison.
Je baisai les larmes qui inondaient son visage et lui jurai que jamais, ma vie durant, je ne l’oublierai. Elle s’accoisa et s’endormit dans mes bras. Je n’avais pas renoué mes chausses et pourtant je ne ressentis point le ridicule de ma situation. J’étais seulement frustré.
Nous eûmes, à dater de ce jour, d’autres occasions de nous revoir. Marguerite m’initia et me forma à sa science, m’expliqua le mélange à base de craie et de résine dont elle se frottait les doigts et les orteils pour mieux gripper la roche.
Elle m’apprit à repérer les voies les plus faciles, à tester la solidité des appuis, à lover mon corps contre la pierre, à rétablir mon équilibre, à me hisser lentement en me concentrant dans mes déplacements, sans penser à autre chose. Nous explorâmes aussi des cavités, rampâmes dans des souterrains sans jamais perdre le sens de l’orientation.
Sans plus nous livrer à des étreintes qui exacerbaient nos sens. Sans jamais les satisfaire pleinement. Nous n’eûmes de contact charnel que par quelques baisers tantôt langoureux, tantôt passionnés, mais jamais prolongés.
Une plainte sourde et bourrue m’arracha à mes souvenirs concupiscents. Je sursautai sur ma selle. René, le sergent d’armes, se tortillait du cul. Il implorait :
« Messire Bertrand, de grâce, sonnez du cor et priez la garde d’nous ouvrir la herse ! Et d’m’indiquer incontinent l’chemin des commodités ! » Après avoir sonné du cor, je m’écriai :
« Nous sommes au baron de Beynac et requérons porte franche ! Voici notre ordre de mission et notre sauf alant et venant », ajoutai-je, en brandissant de ma main gantelée de mailles un rouleau de parchemin authentifié par le sceau du premier baron du Pierregord.
« Par Saint-Denis, faites vite ! Y a urgence ! »
Nous dûmes
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