La danse du loup
y avait fait construire la citadelle qui nous abritait.
Le jour commençait à se lever lorsque le seigneur de Melun nous fit servir un pichet d’hippocrace, chaud et parfumé au miel et quelques figues sèches ; puis, il nous pria de lui conter ce que nous avions vu.
Je donnai très vite la parole au bon René qui parvint, encore sous le choc et l’émotion, à expliquer que, ne pouvant s’assoupir, il en était venu à rôder du côté de la porte de la Combe lorsqu’il vit manifestement trois individus soulever péniblement les lourdes solives qui fermaient la porte de chêne et forcer la mécanique du treuil de la herse.
Sitôt la porte ouverte, plusieurs dizaines d’archers à pied s’étaient engouffrés et avaient investi la salle des gardes dans le plus grand silence, suivis par un échelon de sergents montés. René n’avait pas demandé son reste, il avait gravi la rue de la porte de la Combe au pas de course puis la Grand’Rue, en hurlant à tue-tête, avant de me rejoindre dans l’église Notre-Dame de l’Assomption.
« Une trahison, une trahison ! s’exclama messire Thibaut de Melun ! Pouvez-vous me décrire ces félons, René ?
— Hélas non, messire. J’ai vu qu’trois silhouettes dans la pénombre. La porte était mal éclairée ! » Le brave homme inclina tristement la tête et s’accoisa, ne pouvant en dire plus.
Le seigneur des lieux le remercia et le gratifia d’une bougette que le bienheureux prit en s’agenouillant et en baisant sa bague.
« Messire Brachet ? Brachet de Born ? Vous portez le nom d’un illustre ancêtre ! À votre tour de me conter comment vous êtes parvenu jusqu’à la poterne ! » m’ordonna-t-il, les sourcils froncés sur un regard noir et perçant, un œil grand ouvert, l’autre à demi fermé.
Je m’exécutai et lui expliquai les voies que j’avais prises, sans rentrer dans le détail. Il en fut surpris et me demanda qui m’avait initié à l’art de l’escalade. Je restai évasif : « Un plaisir d’enfance », balbutiai-je innocemment. Thibaut de Melun me demanda alors quel était l’objet de ma mission en la place.
« Messire le baron de Beynac souhaitait s’enquérir de mouvements d’éventuelles batailles ennemies, de l’état des défenses de la bastide royale, de votre citadelle et du château de Domme-Vieille et… de votre santé, messire. Le baron vous porte en grande estime.
— Je reconnais bien là un grand seigneur dont l’amitié n’a jamais été prise en défaut. Et précieuse par les temps qui courent, crut-il bon d’ajouter. Transmettez-lui en retour l’assurance de mon amitié fidèle. Nous ne sommes point si nombreux à demeurer encore féaux au roi de France, à ses barons et à leurs vassaux.
« Les Gascons se rallient plus volontiers au duc d’Aquitaine (messire de Melun se refusait à prononcer le nom du roi d’Angleterre) qu’à la couronne d’un descendant de saint Louis, notre suzerain légitime. Que le diable les emporte en enfer !
— C’est toujours en des périodes troubles que l’on reconnaît la grandeur ou la mauvaiseté des hommes », m’exaltai-je maladroitement. Je devins grandiloquent :
« Trop de félons à notre cause se paonnent, renient leur serment de chevalerie, se gaussent de nos défaites, trahissent nos valeurs sacrées, ne croient ni en Dieu ni au Diable ! Qu’ils soient maudits ! Maudits à tout jamais !
— Oh ! messire Bertrand, je vois en vous fortes et belles convictions. Et grande éloquence. Votre enthousiasme juvénile plaît à entendre. Votre ton flatte mon ouïe. Mais gardez-vous cependant de jugements par trop hâtifs : les temps sont durs et les sentes de l’honneur, particulièrement périlleuses…
— Or donc, le seraient-elles pour d’aucuns seigneurs qui vous côtoient à quelques lieues d’ici ? l’interrompis-je, emporté par mon élan.
— Pensez-vous à quelqu’un en particulier, messire Bertrand ?
— Oui, je pense à ce triste sire, votre voisin, le seigneur de Castelnaud de Beynac. Il a été capturé lors de la bataille d’Auberoche, pour avoir refusé que je me porte à son secours : il m’a déclaré préférer bailler rançon s’il était pris par les Anglais plutôt que de devoir la vie sauve à… à un simple écuyer, dis-je, en passant son silence le mot “meurtrier”, qu’il avait utilisé à mon encontre.
— Il aurait été libéré par les Anglais à la seule condition
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